Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/286

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à Raoul Rigault. Une démarche de nous tous fit remettre en liberté Le Muguet qui avait été arrêté.

— Avez-vous vu d’autres fois Raoul Rigault ?

— Souvent. C’était un garçon très intelligent, mais pas bien équilibré. Il affectait des vivacités de langage. J’étais dans son cabinet au moment où il se décidait à faire arrêter l’archevêque Darboy. En la présence même des agents de la Commune, il disait : « Prenez-moi quatre de ces roussins et cueillez le ratichon. » D’ailleurs, très sympathique garçon.

— Et la dernière semaine ?

— C’est à la caserne de la Cité que nous fûmes informés de l’entrée des Versaillais. Pindy membre de la Commune et gouverneur de l’Hôtel de Ville nous avait invités à déjeuner. Il dit à Le Muguet : « Nous sommes foutus, qu’est ce que vous ferez ? — Nous sommes des pompiers, pas autre chose, répondit Le Muguet, nous resterons jusqu’au bout. » Depuis plusieurs jours les pompiers étaient d’ailleurs désarmés, ils n’avaient plus que leurs coupe-choux, les fusils avaient été remis à la préfecture de police. Versailles procéda avec soin à leur massacre.

M. Th. Duret
l’historien et le critique d’art était à Paris, pendant la Commune, mais resta neutre. Conduit, avec M. Cernuschi, devant le peloton d’exécution, il dut à un hasard de ne pas être fusillé.

La Commune, comme prise d’armes du peuple, a sa cause immédiate dans l’état d’esprit particulier qui a suivi le siège de Paris. Machiavel a remarqué que presque tous les grands sièges, se terminent par des séditions. Pour comprendre que la Commune soit survenue, il faut d’abord se rappeler que la capitulation a produit à Paris un tragique effondrement. Il faut se représenter un peuple qui, s’étant cru invincible, s’étant persuadé que ses armées partaient pour Berlin, les voit prises ou détruites à Metz et à Sedan ; qui ensuite, dans des conditions désespérées, soutient un siège, d’abord sans espoir et simplement pour sauver l’honneur, mais qui, au cours de la résistance, s’exalte à nouveau, jusqu’au point de se croire rétabli et de demander à ses chefs de battre les Prussiens victorieux, avec des gardes nationaux improvisés. Il faut enfin se rendre compte que la défaite finale fait tomber dans un abîme de déceptions, d’amertume, de désespoir, amenant le peuple, en haine de ceux qui viennent de le gouverner, qu’il rend responsable des malheurs subis, à se donner aux hommes de la Commune, qui sont là pour le prendre. On a comme preuve de l’origine tout à fait spéciale et parisienne de la Commune, le fait qu’elle a été la seule forme politique, dominatrice à Paris, qui n’ait pu s’étendre à la France entière et qui ait vu au contraire la province française lui résister et la vaincre.