Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/294

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donnée tout au long dans mon roman : Un exilé, p. 21-24 (chez Ollendorff, 1893). Je l’ai redite en parlant dans la Petite République du livre de Lissagaray (Voir Critique de Combat, 3e série), je la résume en quelques lignes :

Tendances multiples et confuses : explosion de patriotisme exaspéré ; indignation contre les incapables et les traîtres qui avaient rendu la défaite inévitable ; réponse aux défis jetés à la démocratie par l’Assemblée dite nationale ; révolte légitime contre ses décrets inexécutables ordonnant le paiement immédiat des loyers et des créances arriérés ; coup de colère contre ses tentatives sournoises de restauration monarchique et cléricale ; en même temps déchaînement de cette haine de classe, qui a été la cause essentielle de la capitulation de Paris, lors du premier siège, parce qu’elle a paralysé la défense par la peur des faubourgs, parce qu’elle a rendu également suspects l’un à l’autre le peuple et son gouvernement bourgeois ; vagues essais d’un socialisme pris au dépourvu et d’avance étouffé entre l’armée allemande et l’armée de Versailles ; tout cela se rencontre dans l’insurrection de 1871. Avec cela et à cause de cela, un désordre extrême, le manque d’une claire idée directrice, des hésitations sur la question grave de savoir si la révolution devait être surtout politique ou sociale, purement parisienne ou faite pour la France entière ; de là des querelles, des défiances entretenues par la nuée d’espions que Versailles vomissait sur Paris ; puis des violences ripostant aux violences préméditées d’adversaires sans scrupules ; et, malgré tout, un souffle généreux, une aspiration puissante vers la justice, un effort pour pousser le monde en avant sur la route ardue où il chemine, une œuvre mêlée sans doute et en somme manquée, mais que les républicains sincères ne peuvent répudier en bloc sans ingratitude, parce que la Commune, en forçant ceux qui la combattaient à se dire républicains pour s’assurer le concours des grandes villes de France, a sauvé la République menacée de mort.

Personnellement je n’ai vu de près que ce qui se passait au ministère de la guerre. Parlerai-je de l’organisation militaire ? Elle fut étrangement défectueuse ; elle n’exista guère que sur le papier. Rossel, qui, à mon avis, était, par son énergie et sa lucidité, le plus capable de la mener à bonne fin, fut entravé sans cesse par les querelles des partis dans l’Assemblée communale, par les rivalités entre les différents pouvoirs, par le manque à peu près complet de discipline, par la peur de la dictature militaire qui, au lendemain de l’Empire, hantait quantité de cerveaux. J’ai gardé l’impression que le nombre des soldats faisant le coup de feu dans les forts et en avant des fortifications a toujours été minime et je dirais presque que ce sont toujours les mêmes qui se sont fait tuer.

Je me rappelle en particulier les difficultés sans nombre auxquelles donna lieu le décret qui ordonnait l’enrôlement de tous les hommes valides de 19 à 40 ans : perquisitions le plus souvent inutiles ou odieuses, fuite par les fortifications où était organisé un