Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/304

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M. Alexander Thompson
actuellement rédacteur du Clarion de Londres. Il avait alors huit ans.

J’habitais avec mes parents boulevard Saint-Michel, en face du Luxembourg. Il y avait des deux côtés de la maison une barricade construite sous la direction d’une jolie amazone dont la beauté, les manières charmantes et le revolver toujours prêt décidaient chaque passant à prêter son concours.

Nos barricades — je puis les appeler ainsi car tous ceux de la maison y avaient travaillé — furent prêtes le 23, mais la marée ne nous atteignit que le 24. La nuit précédente la canonnade n’avait pas cessé et la résistance s’était acharnée avec rage dans le Luxembourg. Tout à coup, une explosion terrible brisa tout dans la maison et fit éclater les vitres. C’était la poudrière du Luxembourg que les communards en retraite faisaient sauter.

Le tour de la barricade qui fermait la rue Soufflot était venu. Deux femmes, sans doute la mère et la sœur, cherchaient à entraîner un jeune communard sans barbe. Mais l’amazone leur cria : « au large » et les deux femmes se trouvèrent entre la barricade et la barrière du jardin, au moment où l’on commençait à tirer.

Un jeune officier des Versaillais se jeta dans la rue, le mouchoir blanc à la main, et malgré que le feu n’eût point cessé, réussit à entraîner les deux femmes à l’abri des arbres de la promenade.

Pendant le combat nous nous étions réfugiés dans la cave, prêtant l’oreille dans les intervalles du crépitement des mitrailleuses, et des coups de canon aux lamentations d’un locataire de la maison. Il prédisait que si nous n’étions pas tués par les balles, nous serions enterrés vivants, car on devait faire sauter le Panthéon dans la retraite, et le faîte de l’édifice s’écroulerait sur notre maison.

L’entretien est interrompu par un jeune communard affolé, qui crie que la barricade est prise et nous supplie de le cacher. On trouve une échelle, on l’aide à sauter le mur de la cour ; mais d’une fenêtre un versaillais l’ajuste et le tue.

Arrive ensuite un capitaine des Versaillais fou furieux, qui se jette dans la troupe épouvantée des femmes et des enfants, en criant que si on trouve encore un seul communard dans la maison, tout le monde sera fusillé.

En remontant, nous trouvons deux communards tués sur les dalles du vestibule. En haut, dans ma chambre, un soldat étendu tout sanglant sur le lit. Dans la rue, un communard s’écrase, jeté à bas d’un toit par les balles des Versaillais.

Sur la barricade de la rue Soufflot, le fusil dans la main, on voyait étendue l’amazone. Par moquerie un Versaillais ouvrait ses habits avec la pointe de son sabre et les soldats en riaient.

Thompson