Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/322

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arrière des lignes. Au cantonnement, si l’intendance a pu rejoindre, et c’est la majorité des cas, le soldat trouve sa ration préparée, assaisonnée. Il peut la remettre au feu, ou la manger telle. Ainsi les viandes n’arrivent pas empuanties par l’empilement dans des fourgons, ni bleuies par une corruption commencée. Si l’intendance ne peut réussir à joindre le cantonnement, le soldat confectionne son riz à l’extrait de viande sur le bivouac. L’un des cylindres à pétrole aide cette cuisson. L’autre sert à chauffer l’eau dans laquelle on verse l’essence de café remplissant les doses d’un flacon métallique.

Le soldat porte encore deux musettes en caoutchouc. L’une garde le pain, celle de gauche ; l’autre garde les cartouches, celle de droite. Dans la gourde il y a de l’eau légèrement alcoolisée à la menthe. Tout le poids ne charge donc pas le dos seul ; et l’homme peut marcher droit, courir, se défendre sans cette bosse chère aux états-majors d’Europe.

Le fusil soutient, sur la longueur du canon, un autre cylindre de celluloïd qui est seulement le tube d’une longue vue, allant de la crosse au point de mire. Cette lunette rapproche énormément la silhouette de l’ennemi et permet un tir juste. Le mécanisme de la hausse la soulève ou l’abaisse. Les pièces d’artillerie sont pourvues d’un télescope analogue, dont la puissance étonne.

Le miracle de cet équipement, c’est le manteau. Imaginez une pèlerine semblable à celle des officiers de cavalerie. Léger, enduit de caoutchouc, le tissu garantit contre les pluies tropicales. Il couvre le soldat depuis le casque sous lequel le collet s’emboîte, jusqu’aux guêtres. Là il s’évase, et la pluie coule comme de la pente d’un toit. Au campement, on étale le manteau à terre. C’est un tapis rond qui protège le dormeur contre l’humidité du sol et le miasme paludéen, Le camarade dresse le sien comme une tente dont un fusil planté par la bayonnette forme le support. Tapis et tente constituent un abri imperméable, chaud, où deux hommes peuvent se reposer à l’aise. On y ferait difficilement de la gymnastique, mais on peut s’y tenir assis ou couché. Des dispositions ingénieuses, ferment hermétiquement la hutte, ou la laissent entr’ouverte, selon les caprices du ciel.

Autre avantage. Ces huttes basses, grises, semblent à peu près invisibles dans la brousse. Dix mille hommes campent, sans qu’on puisse s’en apercevoir avant de rencontrer les sentinelles. Les lueurs des cylindres à pétrole ne brillent point de façon à dénoncer, à trois lieues à la ronde, comme nos feux de bivouac et leurs fumées, la présence des troupes. Il était indispensable, pour une armée ayant à faire campagne, dans des régions sans villages, de posséder un système de campement discret.

Vaste et souple, le manteau ne gêne pas les mouvements du tireur si, en étant revêtu, il aborde l’ennemi. Deux larges fentes à la hauteur des épaules permettent de passer les bras et de les mouvoir librement. Je pense à vos pauvres troupes françaises de 1870, que les prussiens surprirent si souvent occupées à faire sécher leurs