Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/386

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tout en me donnant le droit de lier celles des autres, j’en fais ici mon meâ culpâ ; aujourd’hui je ne commettrais plus cette bourde.

Mon opinion est que l’insurrection de 1871 ne pouvait aboutir, justement parce qu’elle était sortie de l’état insurrectionnel pour entrer dans l’état gouvernemental. Je crois que toute insurrection qui marche à la conquête d’un nouveau pouvoir est stérile, que toute insurrection qui se nomme des chefs est mort-née. L’état insurrectionnel est celui dans lequel le peuple, seul, sans meneurs et sans chefs, peut marquer ses désirs, ses volontés, ses aspirations et ses besoins. Dès qu’il y a un chef il a un maître : l’état insurrectionnel cesse pour faire place à celui de l’esclavage ; et dire qu’on peut se donner des chefs qui vous commanderont d’aller à Versailles parce que vous leur commanderez de vous y conduire, est une idiotie. Paris, Lyon et d’autres Communes de 1871 sont mortes des chefs, des parlementaristes, même les mieux intentionnés ; que nous le voulions ou non il en est et il en sera toujours ainsi.

L’influence que ces insurrections ont eue sur les idées est immense justement par leur défaite. Jusqu’alors la province était habituée à suivre Paris, elle se croyait impuissante dès que Paris ne prenait pas l’initiative, elle ne se croyait point une force sans Paris, il y avait une espèce de centralisation des cerveaux vers qui tout rayonnait. Paris semblait être le centre de ce rayonnement. On agissait un peu comme le militarisme, où tout se concentre en un point, tout paraît bon si ce centre est vainqueur, mais tout parait défectueux et l’est en effet, s’il est vaincu ; alors commence à se former l’armée de guérillas qui vient à bout, en petit nombre, de ce que le grand n’a pu faire ; Paris vaincu, ayant en main une force imposante, Paris cherchant à créer les guérillas communales a donné la preuve à la province qu’elle est une force, même seule ; elle n’attend déjà plus de Paris la note de l’idée, elle se désagrège pour aller plus vite, je n’en veux pour preuve que les procès et les condamnations qui ont eu lieu en province bien avant ceux de Paris, le procès de Lyon précédant celui des Trente.

On a parlé de la décentralisation politique et administrative ; la décentralisation des cerveaux a suivi. Qu’on enquête, qu’on demande aux révolutionnaires provinciaux ce qu’ils feraient aujourd’hui si pareils événements se produisaient, on verra l’unanimité répondre : Nous n’accepterons pas la bataille avec le soldat, lequel après tout est nôtre, nous nous battrons avec la richesse, et faute de pouvoir pincer le propriétaire, nous ferons table rase de ce qui fait sa joie et sa force ; nous fuirons en faisant le vide derrière nous. Ils ajoutent avec quelque raison, qu’ils croient que l’on ne sera pas obligé d’aller jusqu’au bout et qu’aussitôt le branle commencé, la bourgeoisie épouvantée, viendra d’elle-même à résipiscence. En tout cela ont-ils raison ?

Quoi qu’il en soit, ces idées sont nées de l’influence de nos défaites ouvrières et je crois possibles aujourd’hui plusieurs insurrections à