Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/459

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l’archipel de la Sonde. Ce départ pour l’Inde, c’était son rêve. Le moyen découvert et employé, quelque contraire à ses goûts qu’il fut, était, quand même, un moyen…

Et voilà comment, porté sur l’Océan Indien, il put atterrir à Java, à Sumatra, sous un masque de soldat.

Rimbaud était d’âme trop fière et sûre de son droit individuel pour se soumettre aux disciplines militaires ; il avait le sens de l’honneur trop juste, la compréhension morale trop large pour conserver un scrupule de dette envers des gens dont la profession était de tuer les hommes qui par eux ne se laissaient spolier sans révolte. Puis, un ennui le rongea de ne pouvoir, à sa guise, aller explorer l’étrange nature de ce pays volcanique, dont la flore est prodigieuse, la faune terrible, et qui est habité par des hommes d’un mysticisme lent, immobile, plus beaux, à son regard, que ces conquérants, que ces bourreaux aux rangs desquels il éprouvait la rancœur d’être. Il déserta. Un mois entier, il fut errant dans l’île de Sumatra ; obligé, pour échapper aux barbaries de la vindicte disciplinaire, de se cacher dans de redoutables forêts hantées d’orangsoutangs qui durent lui enseigner d’y vivre à l’abri de l’assaut des tigres.

Cependant cette existence de sauvage, pour intéressante qu’elle lui parut, ne pouvait se supporter longtemps. C’est avec une ruse d’indien qu’il rentra dans la ville ; et il y manœuvra, en nique des autorités hollandaises, si bien, qu’un navire anglais l’acceptait à bord et que le voici, fuyard, en mer, pour Liverpool et Dieppe !

Doublé le cap de Bonne-Espérance, conte-t-on, le navire se trouve à six kilomètres en vue de Sainte-Hélène. Notre déserteur veut qu’on y descende ; mais le capitaine s’y refuse. Alors, quoique sachant à peine nager, il se jette à la mer, avec la volonté de gagner à brassées l’île. Il fallut qu’un marin plongeât après lui, pour le ramener et l’embarquer, de vive, force. On remarquera, par les détails de cette anecdote, combien Rimbaud, pour que les choses se passassent ainsi, avait dû se gagner le commandant du vaisseau. Certes, au sortir de la forêt de Sumatra, il ne devait payer de mine.

De Dieppe, il revint à pied dans Charleville.


Madame Rimbaud semble se résigner au caractère de son fils ; mais elle a noué pour lui, rigoureusement, les cordons de sa bourse. Nous sommes en 1877. Arthur a vingt-trois ans.

Un repos de quelques mois. Puis, au risque des poursuites encourues par sa désertion, pédestrement et sans le sou toujours, il va en Hollande, où, pour gagner quelque argent, il se fait, à son tour, racoleur. Nous savons qu’il connaissait parfaitement l’allemand. Sur la frontière de Prusse, grâce à cet avantage, il réussit à faire s’engager bon nombre de braves tudesques ; reçoit, pour son négoce plaisant, une somme assez considérable, grâce à quoi il peut vite