Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/470

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion



aucun œil. Il ne rencontre personne qui rie, il ne rencontre personne qui s’attriste.

« — Écoutez, me chante Pythie ; écoutez si vos oreilles peuvent le faire. N’entendez-vous pas bruire l’invisible vie des Idées autour de nos membres ? Ne sentez-vous pas comme la vigueur des Grands Êtres vous fortifie, en ce lieu ? Ne goûtez-vous pas la confiance délicieuse de se connaître en organes minuscules de la Personne Planétaire ? Je ne sais si vous percevez, ainsi que moi, la douceur de se perdre en une forme plus totale que nos individualités humaines. Je ne sais si le sens de se diluer parmi l’immense courant de la gnose vous transporte hors de votre gaine charnelle, comme elle me transporte. Tout s’écoule de moi qui n’est point pensée. Un magnétisme décorpore ici la mentalité. Ne vous semble-t-il pas concevoir aisément ce que chacun de ces promeneurs espère, entrevoit, ou contemple de son esprit ?… Ah, vous me parliez d’amour, d’âmes en communion, d’êtres distincts rassemblés en un seul être ; vous conseilliez la fusion de nos deux sentiments en une seule ardeur personnelle… Voici qui comble le vœu. Tous les habitants de la cité vivent en une même âme qui s’évertue pour connaître plus du secret des mondes, et le reste s’abolit devant leur désir de chercher le Dieu véritable… »

Certainement l’atmosphère de la ville est spéciale. On jouit d’une ivresse calme à travers les jardins magnifiquement colorés.

N’avez-vous pas, mon cher ami, à certains jours, subi l’entraînement de la foule dans les rues d’une capitale ? L’indignation ou la moquerie dont elle s’anime, devant les spectacles d’une brutalité, d’une déchéance, ne vous saisit-elle pas, malgré les avis de la raison ? Mêlé à la cohue populaire, n’avez-vous pas acclamé la souveraine qui passe, raillé l’ivrogne en querelle, applaudi l’héroïne d’un niais vaudeville, ou poursuivi le larron qui vient de dérober à l’étalage ? Du moins, si vous n’avez pas été jusque l’acte, il vous fallut, à ces minutes, une victoire sur le penchant, une résistance à l’appel de la foule. La contagion de l’exemple affole quand la foule est nombreuse. La préoccupation de l’incident supprime la somme des autres soucis chez ceux de la cohue. L’entière volonté de chacun se concentre afin de participer à l’émotion générale, d’y jouer un rôle. Colères, railleries, fureurs, espoirs de vaincre, instincts bestiaux s’unissent par dessus le reste des hommes, et composent une seule force omnipotente dont les effluves grisent. Les caractères s’élèvent au paroxysme. Ils affluent des corps, et leur mélange extérieur créé un être collectif dont les individus deviennent les membres serviles.

Cette colère ou cette joie de la rue peuvent donner une imagination approximative de ce que je ressens au milieu de cette ville. Je deviens le membre docile d’une idée collective d’existence. La fureur de poursuivre la science, m’entraîne avec la cohue des êtres frénétiquement avides d’y participer. Mon attention augmente d’une manière