Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/472

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Leurs corps dégagent des parfums lourds. On les voit sans cesse aux mains des masseurs. Une musique voluptueuse énerve visiblement la langueur de leurs yeux. Des tables sont servies à portée de leurs mains que chargent des fruits, des breuvages, certaines confitures succulentes et pimentées, des sauces singulières noyant des purées rougeâtres.

À voix mélodieuses, les phonographes récitent des rhapsodies malaises qui semblent intéresser les allures reptiliennes des jaguars, des chats et des panthères domestiques frôlant les buissons de roses. Ces animaux s’étirent, rampent, et puis bâillent. Ils se frottent le long des barreaux ou miaulent au ciel qui chatoie, cerné, sur la crête, circulaire du val, par le frémissement de la forêt.

Il est des heures où le théâtre se peuple de danseuses javanaises. Leurs tiares de cuivre brillent au-dessus des tresses noires. Leurs mains érotiques s’agitent et fendent l’air ainsi que les nageoires des poissons fendent l’eau. Souvent une horde de négresses hurlantes imite les obscénités de l’amour. C’est la représentation habituelle aux théâtres de ce pays, avec cependant quelque chose de plus bestial, avec des musiques sauvages, tour à tour frénétiques et lugubrement lentes.

Cela fait se plaindre les jaguars. Ils se poursuivent. Ils miaulent. Les matous aussi s’énervent et combattent. Des griffes s’ensanglantent. Leur colère tousse. Etendues sur l’échine, et montrant leurs ventres blancs, leurs rangées de mamelles roses, les femelles des panthères appellent le mâle qui, pour surgir, troue les buissons d’où neigent les pétales des fleurs mures. Alors, forcenées, les bêtes se mordent et s’accouplent. Une tiède odeur de fauves corrompt l’air.

Des bandes de soie sombre se déroulent le long des mâts, se gonflent et s’amollissent au souffle de vents artificiels. On aperçoit les solitaires qui remuent derrière leurs grilles argentées. Yeux et dents illuminent les physionomies brunes battues par les franges épaissies des cils.

L’étroitesse de l’avenue angulaire ne tient les hommes éloignés des femmes qu’à une distance minime. Ils se considèrent en s’étirant. Les regards disent leur convoitise mutuelle des chairs. Pensives, les filles se serrent contre les barreaux de leur arcade en contemplant la volupté des jaguars et des chats. Les frissons nerveux secouent leurs épaules et leurs seins, pendant que durent le spectacle comme la musique. Les fleurs éclatent en couleurs sur les chevelures bleues des captifs. Plus fort émanent les parfums des corps. Une commence à gémir. D’autres plaintes répondent. Toutes les faces se collent aux barreaux d’argent ; les mains brunes se crispent, Les saccades de rires hystériques s’unissent aux frénésies de l’orchestre. Les hommes aussi bâillent douloureusement et tordent leurs bras dans les grilles.

« — Ils souffrent, dis-je, la première fois, à Pythie. — Oui ; répondit-elle, ils souffrent. Ces mets, ces fruits, ces sauces, ces confitures,