Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/542

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l’héroïsme dévolu à ceux qui succomberont… Cesse, cesse de chercher la Chose Interdite, tu ne la connaîtras point, sans disparaître pour ceux qui t’aiment. »

Je vais cependant. Je rôde autour des usines. J’interroge les manœuvres, les soldats, les jaunes aux yeux malicieux et las. Sans doute je pourrai savoir.

Il faudrait parvenir jusqu’aux chambres des ingénieurs qui ajustent les pièces construites en des ateliers différents. Déjà je n’ignore plus que l’accumulation de force s’obtient à l’aide d’un gaz très dense dont les molécules, sans cesse agitées par un moyen mécanique, poursuivent la multiplication de l’énergie incluse en eux. On enferme ce gaz dans des tubes faits avec un amalgame de platine et de diamant obtenu après de longues coctions au four électrique, à des chaleurs dépassant mille degrés. Mais ce gaz doit la naissance à la décomposition de métaux particuliers, rares, précieux, que l’on transporte avec soin dans des coffres fermés et sous la garde de plusieurs hommes.

J’ai voulu visiter les mines. On m’en a défendu l’accès. Des indigènes m’épient. Je les sens me suivre à pas mous dans les détours des arcades. Ils contemplent à côté de moi le chaos des monts violets, la mer illimitée des nues roses au-dessus de laquelle s’érige la ville, comme un port insulaire isolé sur l’océan. Ils sont près de notre table lorsque nous prenons, Pythie et moi, les repas du jour. Non loin du domicile assigné à notre halte, il en est qui veillent toute la nuit en jouant avec des billes et des miroirs. J’essaie d’en gagner plusieurs. Ils restent insensibles aux promesses de l’or, à l’espoir de triompher riches, dans nos patries.

Pythie blâme mon imprudence. Elle croit que les gens de la Dictature me laissent ainsi manœuvrer, afin de me convaincre tout à coup de trahison pour se saisir de moi, et m’enrôler de force dans les régiments de Mars. Ils regretteraient, selon elle, d’avoir autorisé ma visite dans leurs états. Ils redouteraient que j’apprisse au monde l’existence de leur prospérité, avant l’heure où pourront triompher les escadres aériennes.

De toutes ces craintes l’amour de Pythie, envers moi, s’augmente. Au crépuscule, nous parcourons le promontoire qui s’avance dans la mer de nuées. Les nefs reviennent au port avec de grands cris. Elles surgissent de la mer ça et là, montent au ciel rouge, s’y inscrivent en sombre avec leurs voilures enflées, le halo du volant, à l’arrière, la misaine du gouvernail et le chapelet des torpilles suspendues sous la passerelle inférieure. Les cris des sirènes les assemblent. Entre la surface pourpre des nues et le ciel écarlate, les nefs volent roides, aiguës du beaupré, vers les plateformes surmontant leurs quatre tours de fer. Les phares s’allument et tournent. Il brille dans le sombre sur l’échine bleue des montagnes de grands yeux mobiles, or, rouges, verts. La mer de nuages flotte sous les astres lentement apparus dans le ciel pers et bleu.