Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/546

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Trahis par deux des affiliés, ils furent attaqués à l’improviste par le prêteur Merula, et leur fanatisme était si imprévoyant que, préparés seulement à la victoire, ils se trouvèrent sans ressources pour la résistance : deux mille hommes levés à la hâte suffirent pour les disperser sans combat[1]. Malgré ce désastre lamentable, la fièvre de colères et de convoitises dont le complot de Séties était un saisissant symptôme, ne s’apaisa pas tout d’un coup. Les orgéons étrusques attaquèrent follement Préneste : Merula les surprit encore une fois et tua quelques centaines de ces fanatiques. Les conjurés ne désespèrent pas ; deux ans plus tard, nouvelle tentative qui paraît mieux réussir ; même, les communistes tiennent un instant la campagne. Le Sénat doit envoyer contre eux le prêteur Acilius avec une légion et on n’en vient à bout qu’après un vrai combat.

Décimés, dispersés, les orgéons travaillèrent, durant dix années de recueillement, à réparer leurs pertes et à rénover leurs forces. Instruits désormais par une cruelle expérience, les chefs avaient élaboré un plan nouveau, très habile[2]. Leurs émissaires s’efforçaient d’attirer à eux la jeunesse (en l’année 188, une délibération générale de l’orgéon de Rome, plus exposé aux curiosités indiscrètes des consuls, avait même décidé de n’initier personne au-dessus de vingt ans), et une excitation continue de l’esprit et des sens, un entraînement graduel dans les crimes privés, préparaient peu à peu les jeunes hommes au grand jour de la révolution anarchiste : d’ailleurs des espions glissés partout prévenaient l’orgéon des défaillances, des bavardages, et la vengeance était rapide, implacable. Le vol savamment organisé et sur la plus vaste échelle assurait à la caisse commune des ressources toujours grossissantes : les conjurés ne pratiquaient point la forme grossière du cambriolage, bien peu productive alors que la fortune mobilière consistait presque exclusivement en troupeaux d’esclaves ; mais, près de l’orgéon fonctionnaient des offices qui fabriquaient de faux testaments, et recrutaient de faux témoins pour en attester l’authenticité.

Et cependant des catastrophes mystérieuses, les statues des dieux brisées, des bruits habilement semés de menaçants prodiges entretenaient dans Rome et l’Italie une fièvre, la crainte permanente de périls invisibles qui énervaient peu à peu les pouvoirs publics, agitaient le peuple, l’accoutumant, pour l’heure où viendrait le péril suprême, à douter de la bienveillance des dieux.

Vers l’année 186, la conjuration était forte plus que jamais. Les pauvres, les esclaves, la populace des villes accouraient en foule offrir aux orgéons leurs bras robustes et leurs maigres pécules ; des

  1. On retrouve dans les mouvements collectifs des anarchistes la même audace jointe à une semblable imprévoyance ; par exemple dans l’émeute de Xérès, il y a quelques années.
  2. Même révolution dans l’anarchisme moderne ; après les émeutes de Montceau-les-Mines, la propagande individuelle.