Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/655

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cite vos conseils. Il me faudrait un petit délit, dans les prix doux, pour me faire enfermer à Mazas. Je m’ennuie à Paris où les sommiers sont si durs, et l’air de la rue m’est défendu par la Faculté. Ainsi donc, puisque vous connaissez le code, trouvez-moi un petit délit dont le prix maximum soit six mois de prison. En marchandant un peu, vous obtiendrez trois mois, j’en suis convaincu.

PETITBONDON

Vous êtes un drôle de client.

CHAMBOLIN

Je suis le client rêvé. Je vous consulte non sur le délit commis, mais sur le délit à commettre. Je vous fournis tous les éléments d’une belle plaidoirie. Choisissez le délit qui vous plaira le mieux, le plus juteux pour votre éloquence, celui qui vous permettra d’évoquer mon enfance misérable, mon éducation imparfaite, les mauvais traitements à moi infligés par une marâtre. Dissertation sur un sujet libre. Vous avez là un domaine assez vaste. Choisissez le terreau le plus favorable à la culture de vos lieux communs.

PETITBONDON

Je veux bien, après tout. Je suis un peu nouveau dans la carrière. Je ne sais pas si le conseil de l’ordre et les anciens me verraient d’un bon œil donner des consultations de ce genre, mais ce n’est pas vous qui irez leur raconter cela… Commençons par écarter les plats chers, tels que l’assassinat et le vol. Même un petit vol pourrait vous entraîner trop loin.

CHAMBOLIN

Et puis, il faut me trouver quelque chose de plus facile.

PETITBONDON

De plus facile ?

CHAMBOLIN

Mais oui. Le vol est un travail comme un autre, et souvent plus difficile qu’un autre, sans même parler des risques. Avez-vous déjà essayé de voler ?

PETITBONDON

Jamais, voyons !

CHAMBOLIN

Hé bien ne parlez pas de ça. Vous avez reçu comme moi une éducation dangereuse. On s’est évertué à vous répéter que c’était très mal d’être un voleur, un escroc, ou simplement de se faire entretenir par les femmes. Alors vous avez pu vous dire à part vous : c’est très mal vraiment, et je ne me résoudrai à voler qu’à la dernière extrémité… mais j’aurai toujours cette petite corde à mon arc, si je suis acculé. Quand je n’aurai plus les moyens d’être honnête, j’aurai la ressource de ne l’être plus. Vous vous êtes figuré qu’il suffisait, pour s’enrichir… que dis-je ? pour vivre par le vol, de se débarrasser de quelques scrupules ?… Ce serait vraiment trop beau.