Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/797

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vignerons ; où le curé Boucher, l’évêque Rose et le moine Garin prêchaient sans relâche la démagogie la plus radicale et réclamaient sans cesse la suppression des noblesses et des magistratures en présence d’un légat du pape. Mais cette plèbe communeuse de Paris qui avait su mourir si héroïquement de faim lors du siège de 1590 ne put se défendre contre les intrigues de Henry IV et il ne resta de ce mouvement extraordinaire qu’un souvenir d’immense ébranlement social contre lequel s’acharna l’histoire officielle.

La Commune de 1588-1594 a été jusqu’ici le dernier effort de l’anarchisme chrétien. Mais il ne faut pas s’imaginer que la tradition en ait péri corps et biens dans l’église. Le xviie siècle, encore tout épouvanté des fureurs de la Ligue, n’en a pas moins retenti de l’apostrophe de Bourdaloue contre les richesses injustes, si connue qu’il n’est besoin que de la rappeler, et de cet extraordinaire sermon où Bossuet déclare que l’Église est la « cité des pauvres », et que les riches n’y sont admis qu’à la condition d’être leurs serviteurs [1].

En notre temps où l’Église a la prétention de reprendre son rôle social, il serait étrange qu’elle ne retrouvât pus la tradition évangélique. Et elle l’a retrouvée. Déjà le pape Leon XIII, par sa théorie du juste salaire, applique purement et simplement la féconde maxime : « À chacun selon ses besoins », et il s’est trouvé un prédicateur [2] pour déclarer qu’il se vantait de ce qu’on l’appelait révolutionnaire, car ce lui était « une assurance d’être resté dans la vraie tradition de l’Église et de l’Évangile ». Voilà qui déjà s’écarte singulièrement des tendances réactionnaires si désolantes du début de ce siècle. Et ce n’est que le commencement. Quand on dirait tout le mal possible de L’Église, on ne pourrait lui refuser une extrême rigueur à tirer les déductions logiques des principes qu’elle a posés. Il suffit qu’une fois elle ait renoué la tradition évangélique pour qu’elle reprenne, et cette fois toute entière, la route de Savonarole. Puisqu’elle s’occupe de sociologie, elle doit être anarchiste, mettons libertaire, si elle aime mieux. Elle le sera.

Albert Delacour
  1. Et aussi un fragment de sermon sur les pauvres qui est certainement l’exposé le plus saisissant, le plus lumineux et le plus rigoureusement logique de l’anarchisme chrétien.
  2. L’abbé Vignot : La Vie pour les autres.