Page:La Revue blanche, t22, 1900.djvu/420

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Mais ce n’était qu’un chien de porcelaine, assis, une boule sous l’une de ses pattes de devant, colossale potiche sans décor, aux yeux de verre, si ajourée et frisée que les boucles de la toison longue frémissaient au vent mieux que des pétales de fleur.

À l’inverse du chien gardien, imitateur de l’effeuillement d’une rose, des houx taillés se conformaient à des courbes animales, et à mesure que les pelouses s’atterrèrent de cette aube plus albe avant-courrière du clair de lune, des découpures noires, simulant les ombres nettes de combats dans le ciel de quadrupèdes néphélibates, s’affrontèrent selon les allures de cerfs, d’éléphants, de mantichores ou de licornes, au gré dompté des arabesques du buis.

Ce buis en formes de bêtes, c’était l’esthétique ordinaire des jardins romains, mais, chez l’Asiatique, poussée, par des architectes aux yeux bridés, jusqu’à ses limites même franchies, comme ils avaient transgressé jadis, vers le bénéfice de l’annexion à la famille de Lucullus, les rives fabuleuses de leur Cambari et de leur Lanos.

Et le buis signait sur les xystes, de haut en bas, leurs noms mystérieux.

Çà et là, dans une alternance régulière avec les plus belles statues grecques et les idoles de l’Inde et de la Perse des plus riches matières et les dieux chinois au plus gros ventre, des ifs imitaient des amphores, et une file spirale d’arbustes nains, rabougris par une marâtre cisaille, recroquevillait le corridor d’un labyrinthe au cœur d’une muraille sèche masquée de l’éternel buis étagé.

Mais nulle part Messaline ne reconnut, rubiconds sur le vert acanthe, les figuiers sacrés, tuteurs de tout jardin de Rome, desséchés et pourtant si mûrs — chez l’Asiatique ! — du plus pur vermillon d’Asie, qu’ils avaient rutilé toute cette journée-là au soleil jusqu’à éclabousser les fenêtres des Césars.

Et ni au-dessus du taillis ingénieusement difforme, élagué comme on tient des nabots en laisse, ni à travers la futaie de faux arbres, en carton-pâte ou en ciment moulé, tels que ceux qui encadrent aujourd’hui, autour de Paris, les bosquets des guinguettes et parodient des statues d’arbres célèbres, elle ne retrouva ce paroxysme de la beauté d’un jardin, actuel ou romain, le miroir du dieu, la boule de Sidon, en verre !