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la disciplote
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lui infligeant huit jours de prison pour n’avoir pas voulu déposer d’une manière défavorable aux disciplinaires.

Le tombeau dans la neige. — L’autre fait dont ce gradé fut témoin à la 3e compagnie, se passa au poste optique de Djebel-Mettlili, L’adjudant Revol, qui commandait ce poste, ayant puni un homme des fers, le fit camper en romain[1], à l’intérieur du poste, par un mètre de neige.

C’est sous ce toit que le malheureux passa la nuit en vêtements de treillis, sans ceinture de laine, sans même une demi-couverture, dans les souffrances de la faim, de la soif et du froid !

Les chairs affreusement tuméfiées, formaient des bourrelets violets autour des pedottes et des menottes serrées à fond. Lorsque le lendemain on retira les fers, l’homme ne put se tenir debout : les deux jambes étaient gelées. On le porta à l’hôpital où il fut amputé de ses deux membres.

Sept mois de cellule

« Du 10 août 1889 au 4 mai 1890, écrivait à l’Intransigeant, M. Moser, ancien disciplinaire, je fus traité comme une bête féroce. Je suis resté sept mois dans une cellule sans clarté, n’ayant pour espace que deux mètres de long sur cinquante-cinq centimètres de large ; comme lit, la brique avec un méchant couvre-pieds. Ma nourriture consistait en ma ration de pain avec, deux fois par semaine, une gamelle contenant vingt-cinq centilitres d’eau bouillante l’été, froide l’hiver dans laquelle nageait une tranche de je ne sais quoi. Bien des fois, je n’ai eu qu’un quart de pain.

Les lettres que j’écrivais étaient remises non cachetées aux sous officiers ; celles que je recevais, étaient ouvertes. On m’a bâillonné, attaché à la crapaudine ; lorsque mes doigts trop enflés étaient aussi gros que des cervelas, quand la chair crevait sous la morsure des chaînes, on me détachait et on refusait de me faire porter malade.

Pendant les deux derniers mois de détention, j’ai été mis en prison et un peu mieux nourri ; mais contraint de manger sans cuiller. En cellule, on ne me donnait que dix secondes pour mon repas.

Le 21 août, jour de mon entrée en cellule, mes camarades indignés se sont révoltés. Dix, triés sur le volet, ont été déférés au conseil de guerre et condamnés à cinq et dix ans de travaux publics. »[2]

M. Cussonac, ancien disciplinaire, confirma tous ces faits.

Assassinat du disciplinaire Demeure. — Le disciplinaire Demeure s’était échappé de cellule.

Le caporal G***, dans la cour du quartier, devant les disciplinaires terrifiés, déchargea sur Demeure les cinq coups de son revolver. Les cinq balles se logèrent dans le corps du malheureux.

Le caporal G* fut reconnu en état de légitime défense parce que Demeure l’avait légèrement bousculé en sortant de sa cellule[3].

  1. Camper sous le tombeau ou guignol.
  2. Intransigeant, 17 mai, 21 mai 1895, nos 5 786, 5 790.
  3. Intransigeant, 21 mai 1895, n° 5 790.