Page:La Revue blanche, t22, 1900.djvu/502

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prédire la mort de personne ! Reprenez vos places ! L’éclipse ne doit durer qu’un demi-quart d’heure, il n’y a même pas besoin d’allumer des torches ! La lune va détacher son bandeau du soleil !

Claude retomba, dépossédé de l’auréole écarlate, sur les coussins de sa loge, et étancha la petite écume de sa bouche avec le mouchoir de Messaline.

Le soleil reprit sa place, comme tout le monde, et se remira, comme l’impératrice, pour voir s’il n’était plus trop rouge, à la fulgurante poussière de l’arène sphingitique.

Mais quand les spectateurs s’entre-regardèrent, ils venaient de si avidement fixer l’astre reparu, qu’à la place de chaque tête, les uns des autres, ils ne perçurent plus que des taches noires, et que tout le Cirque sembla peuplé de nègres.

Quelque chose avait roulé à bas de l’estrade du théâtre, et occultait encore la lumière par terre : une boule aussi parfaitement ronde que le disque d’une planète chue, le corps inextricablement pelotonné de Mnester à la fin de sa danse. Or pelotonnement est un terme astronomique, « glomeramen », — fit remarquer non sans pédanterie le médecin Vectius Valens quand, sur l’ordre de Messaline, on emporta précieusement le mime au palais des Césars, au son, le peuple étant redevenu joyeux, des flûtes et de l’hydraule, — qui se dit de la libration de la lune.

Et ce soir-là, cinquante-huitième anniversaire de la naissance de Claude :

— Claudi, mon mari, empereur, dieu, dit Messaline au lit, se refusant comme elle aimait à faire jusqu’à la réponse favorable à quelque paradoxal caprice ; César, augure, homme si versé dans la musique et surtout l’astronomie : je veux la Lune.

fin de la première partie
Alfred Jarry

(A suivre)