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Les abonnés de l’Écho de Paris ne sont pas seulement des personnes de goûts distingués ; leur patriotisme est ardent et se reconnaît au loyalisme qu’ils témoignent à l’empereur Nicolas. M. de Wyzewa et son journal n’ont eu garde de blesser la susceptibilité de leurs lecteurs et se sont refusés à reproduire, écrites en bon français, des appréciations sévères du gouvernement des tsars, comme à déclarer après Tolstoï que « dans la Russie d’aujourd’hui la place d’un honnête homme est en prison ». Ils ont dissimulé le blâme infligé par l’auteur en plusieurs passages de son livre à la persécution officielle des sectes religieuses. Pas un mot non plus des massacres de Pologne dans une traduction signée d’un Polonais !

Certains passages qui faisaient allusion à des événements historiques, mais qui ne contenaient aucune condamnation formelle, aucune menace à l’adresse du gouvernement russe n’ont trouvé place dans l’édition française. La chose est d’autant plus surprenante qu’on peut se demander si vraiment le plus enthousiaste partisan de l’alliance eût éprouvé une gêne si grande à se rappeler l’insurrection de décembre, l’assassinat d’Alexandre II ou la politique réactionnaire d’Alexandre III. C’est à croire qu’on a voulu se signaler à quelque haute bienveillance par un empressement affecté à se conformer aux indications de la censure impériale. Sans craindre de donner une preuve manifeste de cet excès de complaisance envers un gouvernement étranger, M. de Wyzewa n’a pas traduit le chapitre XXVII de la deuxième partie. Il n’a pas voulu se faire le complice de Tolstoï en dénonçant l’hypocrisie de l’orthodoxie officielle et les manières cauteleuses d’un haut dignitaire qu’il est impossible de ne pas reconnaître sous les traits de Taporov.

Je m’empresse d’ajouter que M. de Wyzewa montre son dévouement à la cause française autrement que par son zèle à défendre les procédés de gouvernement ou les institutions de l’empire russe. Il est préoccupé de faire prévaloir en France les opinions qu’il tient pour saines et fécondes. Telle sa haine du socialisme, qui lui commande de tenir caché l’hommage rendu par Tolstoï à la « valeur morale supérieure » des socialistes et des grévistes. Estimant dangereux de nous dire que les ouvrages de Spencer et de Henry George contiennent « des arguments clairs et irréfutables sur l’illégitimité de la propriété foncière », il s’en tient à de vagues allusions à « des principes désintéressés et généreux ». Il se garde bien de traduire ce précepte anarchiste, emprunté à la lettre d’André Laptev : « Que chacun soit à soi-même son propre maître et il ne sera plus besoin de maîtres ». Et que dirai-je de l’attention soupçonneuse avec laquelle M. de Wyzewa et l’Écho de Paris ont émondé l’ouvrage des parties où se montrait quelque hostilité envers les personnes ou les institutions militaires ? Supprimée, la page violente sur la vie militaire, vie d’inutilité, de plaisir et d’égoïsme où les hommes, dégagés de leurs devoirs sociaux, apprennent à ne s’incliner que devant l’honneur de l’uniforme et du drapeau. Il est entendu, quoi qu’en puisse