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[Les émeutes de 1898 sont parmi les épisodes saillants du règne du feu roi Humbert : et la férocité de la répression contribua fort à l’impopularité de ce prince. Dans ces journées de mai 1898, la censure interceptait les dépêches des correspondants de journaux étrangers. Quand des nouvelles explicites purent être transmises, l’actualité n’était plus aux choses de l’Italie. De sorte que nulle relation de ces événements ne fut publiée dans la presse française. Voici, du moins, — d’un écrivain qui en fut le spectateur — quelques notes pittoresques.]



Les Émeutes milanaises de mai 1898


Paysages et silhouettes


I


À la fin du mois d’avril 1898, j’étais loin de m’attendre aux événements qui bouleversèrent Milan aux premiers jours de mai. De tous les points de l’Italie méridionale, l’on nous annonçait des révoltes et des actes de sédition, certes, effrayants, mais toujours encadrés de leur justification naturelle et toute locale. Le pain ou le travail manquait presque partout dans le sud. Le coût de la denrée première augmentant, des populations entières étaient affamées. Milan semblait donc à l’abri, de par la prospérité de son industrie et le bien-être de ses ouvriers. À mon avis, il faut chercher ailleurs l’origine des émeutes du 6 mai, en des forces psychologiques à la fois lointaines et complexes.

Et d’abord, j’exposerai par croquis rapides les désordres du Midi. J’analyserai leurs lignes et leurs caractères saillants, en complétant par des souvenirs personnels les faits que le télégraphe et les journaux ont seulement indiqués.

Dans la province de Caserte les grains faisaient absolument défaut. La famine y grandissait sans remède, vu l’égoïsme tout moyenâgeux des petites villes environnantes, qui se refusaient à exporter le surplus des farines pour approvisionner les villes en disette. À Foggia, au contraire, le peuple s’insurgea en demandant du travail. Les deux énormes fossés creusés sur la place du marché étaient comblés de grains. Les pierres de démarcation étaient invisibles sous l’entassement blond des grains. Mais la sécheresse continuait. La récolte trop faible de l’année précédente avait donné des gains médiocres aux ouvriers embauchés. À l’aide des œuvres de bienfaisance et des cuisines économiques, on aurait pu pousser sa vie jusqu’aux mois de mars et d’avril, si toutefois les travaux champêtres avaient été repris.