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Page:La Revue blanche, t23, 1900.djvu/437

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L’Émigration des Doukhobors


On a déjà beaucoup écrit sur les doukhobors[1] : les persécutions qu’ils ont subies en Russie pour avoir refusé le service militaire sont connues dans le monde entier. On connaît moins leur émigration dans l’île de Chypre et au Canada.

Outre Léon Tolstoï, ses trois amis : le prince Khilkov (neveu du ministre des Voies et Communications de la Russie), Tchertkov et surtout Biroukov, ont pris grande part à cette émigration.

Dès le commencement de 1898, les doukhobors se mettaient en instance pour obtenir du gouvernement l’autorisation de quitter la Russie : à cet effet, les représentants de leurs communes remirent une requête à l’impératrice douairière, Marie Feodorovna, lors de son séjour au Caucase ; de Sibérie, où il avait été déporté, Pierre Vériguine, l’un des plus actifs promoteurs du mouvement doukhobor, écrivit à l’impératrice Alexandra Feodorovna ; tandis que, de leur côté, les quakers anglais s’adressaient à Nicolas II.

Ces efforts eurent ce résultat, qu’en février 1898, les doukhobors reçurent la permission officielle d’émigrer à l’étranger. Aussitôt, à Londres, les quakers instituèrent un comité chargé de recueillir de l’argent pour que cette émigration pût s’effectuer, et Léon Tolstoï écrivit dans ce sens un appel qui fut traduit dans toutes les langues. Grâce à ces initiatives, les sommes nécessaires à un premier départ furent réunies, et, le 19 août (nouveau style) de 1898, 1126 doukhobors quittèrent la Russie pour toujours.


I

Ce premier groupe se dirigea sur l’île de Chypre. Malgré ses conditions de vie défavorables, son climat malsain, l’île de Chypre avait été choisie pour ce motif qu’elle appartient à l’Angleterre, c’est-à-dire à un pays où le service militaire n’est pas obligatoire ; de plus, cette île est sur la route qui va du Caucase en Amérique, où les doukhobors pourraient plus facilement se rendre si le pays était par trop inhospitalier.

Le comité des quakers avait à sa disposition 50.000 francs, les doukhobors en avaient 117.500, c’est-à-dire presque tout l’argent nécessaire pour leur voyage du Caucase à l’île de Chypre.

Les débuts de l’émigration ne furent pas heureux. Alors que les 1126 doukhobors avaient déjà vendu tous leurs biens et étaient arrivés à Batoum pour franchir la frontière, le gouvernement anglais, qui ne montre jamais de ces exigences envers les immigrants, demanda une garantie d’argent de 625 fr. par personne, pour s’assurer qu’il n’aurait pas à entretenir les doukhobors à ses frais. Les doukhobors durent donc s’arrêter à Batoum. Leur situation était des plus critiques : les autorités russes exigeaient leur départ immédiat

  1. Voir sur les doukhobors La revue blanche des 15 janvier 1896 et 1er janvier 1899.