Page:La Revue blanche, t24, 1901.djvu/100

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quence est la mort ; et à mes yeux la jolie fille qui contrarie sa mère à propos d’un bal avec des manières enjôleuses ruisselle non moins visiblement de sang humain qu’un assassin comme vous. Ai-je dit que je suis la trace des fautes ? Je suis aussi la trace des vertus : elles ne diffèrent pas de l’épaisseur d’un ongle ; les unes et les autres sont des faux pour l’ange moissonneur de la mort. Le mal, pour lequel je vis, consiste non pas dans l’action, mais dans l’essence. L’homme mauvais m’est cher ; non pas la mauvaise action, dont les fruits, si nous pouvions les suivre assez loin dans la cascade tournoyante des âges, pourraient peut-être se trouver meilleurs que ceux des plus rares vertus. Ce n’est pas parce que vous avez tué un marchand que j’offre de faciliter votre évasion, c’est parce que vous êtes Markheim.

— Je vais vous ouvrir mon cœur, dit Markheim. Le crime que vous me voyez commettre est mon dernier. Dans mon chemin pour y arriver, j’ai appris bien des choses ; en lui-même il est une leçon, une leçon importante. Jusqu’ici j’ai été entraîné avec révolte à ce que je ne voulais pas, j’étais l’esclave enchaîné de la pauvreté, malmené et battu. Il y a des vertus robustes qui peuvent résister à ces tentations ; la mienne n’est pas de celles-là ; j’avais soif de plaisirs ; mais aujourd’hui et par cette action, j’arrache à la fois un avertissement et des richesses… à la fois la puissance et une nouvelle résolution d’être moi-même. Je deviens en toute chose un acteur libre dans le monde ; je commence à me voir tout changé, les mains agents du bien, le cœur en paix. Quelque chose revient vers moi, hors du passé, quelque chose de ce que j’ai rêvé les soirs dominicaux, au son de l’orgue, quelque chose de ce que je prévoyais quand je versais des larmes sur de nobles livres, ou que je causais, enfant innocent, avec ma mère. Voilà ma vie. J’ai erré quelques années, mais à présent je vois, une fois de plus, la cité de ma destinée.

— Vous allez employer cet argent à la Bourse ? je pense, remarqua le visiteur, et vous y avez déjà perdu quelques milliers de livres.

— Ah ! dit Markheim, mais cette fois j’ai une affaire sûre.

— Cette fois encore vous perdrez, répliqua tranquillement le visiteur.

— Ah mais ! j’en mets la moitié de côté ! s’écria Markheim.

— Cela aussi vous le perdrez, dit l’autre.

— Eh bien, alors, dit-il, qu’importe ? Supposons que tout