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Le même caractère subsomptif de la logique chinoise se reflète encore dans la ciselure lapidaire des phrases. L’induction et la déduction n’ayant point de symboles dans le langage, la connexion logique est souvent suggérée par la juxtaposition de phrases symétriques, qui diffèrent entre elles seulement par le mot essentiel. D’autres fois, par exemple, pour exprimer une question, la nuance de doute ne peut être indiquée par l’analyse du fait douteux. Dans notre phrase : « Fait-il beau aujourd’hui ? ». l’inversion équivaut à une analyse pratiquée sur le sens affirmatif. Privé de cette ressource, le Chinois énonce d’abord le fait douteux comme existant, puis y juxtapose la constatation de sa non-existence.

Dans toutes ces classes de mouvement logique reparaît le même trait fondamental : toujours la constatation remplace la genèse, l’élaboration de l’idée ; le coup d’œil d’ensemble remplace l’investigation progressive ; l’observation immédiate, indivise, remplace l’analyse et la synthèse des circonstances. Ce principe une fois découvert, il est inutile de pousser plus loin l’étude des particularités logiques. Ce genre de raisonnement est la vraie marque de l’âme chinoise ; toute la vie psychique en dépend ; les divers produits intellectuels, portant tous la même empreinte, deviennent des cas spéciaux qu’un seul principe suffit à débrouiller.

II. — Depuis Nietzsche, un point est hors de doute : Le caractère dynamique prime le caractère logique, étant plus essentiel et plus profond. La structure logique reflète simplement la direction et l’intensité des tendances qui constituent le fonds même de l’esprit. On peut donc conclure de la structure logique aux tendances, par légitime induction.

Sur l’intensité du mouvement dynamique, il ne saurait y avoir de doute. La structure que nous venons de décrire (structure si différente de celle que Kant assigne à toute raison humaine) est par sa nature même tout à fait inébranlable ; c’est la condition de son exercice. Avec le procédé de juxtaposition successivement subsomptive, le moindre changement de cette structure aurait pour conséquence infaillible sa complète annihilation. Toute connexité causale se trouverait interrompue, dès que ne serait plus sous-entendue la subsomption d’un chaînon sous le chaînon suivant.

Mais la direction du mouvement importe plus encore que son intensité. Deux cas généraux sont possibles : direction en ligne droite, direction en ligne courbe. On peut appeler rectiligne le mouvement dont la direction suffit à dénoter l’existence d’un but à atteindre, d’un objet à réaliser (ce but, en général, demeure inconscient). On appellerait alors curviligne le mouvement dont la direction ne permet, à aucun moment, de conclure à l’existence d’un but. À la première tendance correspond, comme procédé logique, l’établissement de la connexité causale par enchaînement inductif ou déductif. À la seconde tendance, l’établissement de la connexité causale par un procédé quelconque autre que l’enchaînement de mailles d’égale ampleur. Le premier cas est celui de la dynamique européenne : la dynamique chinoise n’est qu’un des cas possibles de la seconde espèce.