Page:La Revue blanche, t24, 1901.djvu/27

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seulement de la Famille, mais encore de l’Atelier, on sera bientôt acculé à la nécessité d’accepter, comme unité sociale, l’Individu. En Chine, la Trias des principes sociaux manifeste éternellement l’instinctive, l’inconsciente, la naturelle conception de la vie. Les trois « Rapports sociaux », ( « San-Kong » ), définis parfois, avec une profondeur sublime, comme les trois dimensions de l’espace social, — « l’horizontale : homme-femme ; la verticale : père-fils ; la transversale : dirigeant-dirigé » — ne sont point séparables. Ils forment ensemble un solide système de coordonnées, dans lequel, par abscisses et par ordonnées, est assignée la place de chaque individu. Le mariage n’est pas l’unité sociale, car homme et femme relèvent, tout autant que du mariage, de la catégorie « père-fils ». La famille n’est pas, non plus, l’unité sociale, pas plus que ne l’est le groupement économique de plusieurs individus coopérant au même travail. Chacun est toujours également tenu par les trois rapports, situé dans les trois dimensions, et, par suite, relié à tous les autres par les innombrables liens inconscients dont use la Nature pour diriger l’instinct.

L’unité sociale chinoise est donc la Société dans son ensemble. Il s’ensuit immédiatement que cette unité est inapte à la guerre ; — et que si elle fait autre chose que se défendre contre sa désorganisation, ce ne sera qu’en suivant néanmoins en son développement une direction où la stabilité de la civilisation contrebalance à tout instant l’élan vers des buts conçus.

Le premier de ces deux caractères s’explique par la nature de la défense qu’une civilisation dans son ensemble peut entreprendre contre sa désorganisation. Une race peut combattre ; des intérêts peuvent amener la lutte. Mais la race n’est pas une société ; l’intérêt est la négation d’un système social comme tel. La Société que nous avons définie, malgré son incomparable ampleur, est une unité qui, comme unité, ne peut être dissoute que par les mouvements relatifs des autres unités. Elle ne peut que rester immuable, comme un continent au milieu de la mer : sa défense sera l’inertie, sa victoire l’assimilation.

Le deuxième caractère pose une question préalable. La Société chinoise fait-elle jamais, a-t-elle jamais fait autre chose que de se défendre contre sa propre désorganisation ? L’opinion européenne est que la Chine « s’est arrêtée » au xve siècle de notre ère, et, depuis lors, se défend contre la décadence par l’immobilité. Mais le développement de la civilisation chinoise jusqu’au xve siècle ne diffère en rien de son développement depuis cette époque. Après comme avant, le « progrès », l’action vers un but, s’est, à cause de l’immense stabilité de l’ensemble, arrêtée juste au point où cessait la nécessité sociale, c’est-à-dire, où la vie de la Société, dans son ensemble, n’avait plus rien à gagner. Le développement de la Chine avant le xve siècle parait plus intense et plus rapide, uniquement parce qu’en suite l’Europe a commencé sa vertigineuse évolution économique, en partant précisément des données que la Chine avait réalisées au cours de quarante siècles. Comparée à l’Europe, la Chine semble avoir tort, uniquement parce