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les “ cocos ”
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Le caporal sortit en courant, alla dans sa paillette, décrocha son étui à revolver, l’ouvrit, vérifia le chargement et revint vers Mathieu (ces diverses opérations lui avaient donné le temps de réfléchir). Arrivé à quelques mètres du groupe où était Mathieu, il tira. La balle atteignit le disciplinaire à la tête : entrant par la bouche, elle brisa les dents. Mathieu tomba, tué raide.

Le lieutenant Georgey, qui commandait à Andjia, fit un rapport dans lequel il reconnut que le caporal était dans son tort.

Le caporal Slinger fit également un rapport en faveur de Mathieu ; mais il n’y eut aucune action soit judiciaire, soit disciplinaire contre le meurtrier. Le lieutenant Georgey est mort à Madagascar ; le caporal Slinger est toujours aux Cocos.


VAKARIANO

Vingt-cinq hommes partirent du poste d’Andjia pour établir celui de Vakariano. Trois mois, ils menèrent une épouvantable existence. Pendant trente-trois jours, les hommes de ce poste manquèrent de vivres, pendant trente-trois jours, ils vécurent de buffle bouilli, sans sel, ni condiments d’aucune sorte, sans pain, sans vin, sans légumes, sans café ni sucre. Enfin, on leur envoya de la farine : ils n’étaient pas oubliés tout à fait. On distribua alors un quart de farine par homme et par jour ; pour remplacer le pain qu’ils ne pouvaient fabriquer, les hommes faisaient cuire dans leurs gamelles de la farine délayée dans de l’eau.

Le café ne fut distribué que pendant la première quinzaine. Jamais ils ne reçurent ni sucre ni eau-de-vie.

Nourris de la sorte, on les employa aux plus durs travaux. Ils durent aller dans les forêts voisines abattre des arbres et les traîner, soit par voie de terre, soit par eau ; souvent il leur fallait entrer jusqu’aux aisselles dans des rivières infestées de caïmans ; de plus, ils étaient obligés de monter la garde la nuit pour protéger le poste contre les surprises, garde dont s’exemptaient les gradés.

Après trois mois de cette existence, le poste fut évacué. On avait enfin reconnu l’impossibilité de le ravitailler. En descendant sur Andjia, deux disciplinaires, Lasnier et Kohler, se perdirent dans la brousse. On n’en eut jamais de nouvelles.

Un autre disciplinaire, atteint de dyssenterie, de fièvre et ayant un œdème des pieds, fut présenté au chef de poste d’Andjia pour y être admis comme malade. Le chef de convoi, le sergent-fourrier Poirrot, le signalait dans son rapport comme incapable d’aller plus loin. Le chef de poste d’Andjia refusa de le recevoir et le força à descendre jusqu’à Ben-Alitz, quoique le chef de ce poste eut constaté que ce fusiller était dans l’impossibilité absolue d’atteindre l’hôpital de Maintirano. Le disciplinaire mourut en route.


LA MOISSON NOIRE

Lorsqu’après cinq mois la colonne de Maintirano débarqua à Diégo-