Page:La Revue blanche, t25, 1901.djvu/577

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ne touche, comme moment extrême de son action intermédiaire, que les représentations du temps, maintenant celles de l’espace sous un voile impénétrable qu’on ne peut soulever sans rendre aussitôt méconnaissable le songe contemplé. Tandis que l’harmonie, qui n’appartient ni au temps ni à l’espace, demeure lélément essentiel de la musique, le musicien, en composant tend la main au monde phénoménal éveillé, et entre en relation avec lui au moyen du rythme. Il procède comme le rêve allégorique qui se rattache aux représenlalions habituelles de l’individu de sorte que la conscience éveillée tournée vers le monde extérieur, bien qu’elle reconnaisse aussitôt la grande différence de cette image de rêve avec la vie réelle, la peut pourtant fixer. Par l’ordonnance rythmique des sous le musicien entre aussitôt en contact avec le monde plastique sensible, notamment grâce à l’analogie des lois suivant lesquelles le mouvement des corps visibles se manifeste d’une manière intelligible à notre intuition. Le geste humain qui, dans la danse, cherche à se rendre intelligible par des mouvements réglés, pleins d’expression dans leur alternance, paraît ainsi être pour la musique ce que sont les corps pour la lumière qui, si elle n’était brisée par ceux-ci, n’éclairerait pas ; nous pouvons dire de même que, sans le rythme, la musique ne nous serait pas perceptible. Mais c’est ici précisément, au point de rencontre de la plastique avec l’harmonie, que l’essence de la musique, qui n’est saisissable que par l’analogie du rêve, apparaît d’une façon très nette comme bien distincte de celle des arts de la forme. Alors que ceux-ci, pour le geste qu’ils se bornent à fixer dans l’espace, doivent laisser à la contemplation réfléchie le soin de suppléer au mouvement, la musique exprime l’essence la plus intime du geste avec une telle intelligibilité immédiate que, dès, que nous sommes envahis par elle, notre vue perd sa puissance de perception intensive, si bien que nous comprenons les gestes sans les voir eux-mêmes. Si la musique que nous appelons le domaine des rêves attire à elle les éléments du monde de représentation qui lui sont le plus proches, cela n’arrive que pour tourner en quelque sorte vers l’intérieur la connaissance sensible au moyen d’une transformation préalable qui lui permet de saisir l’essence des choses dans sa manifestation la plus immédiate et de noter, pour ainsi dire, le rêve que le musicien au plus profond de son sommeil avait contemplé.

Sur le rapport de la musique avec les formes plastiques du monde de la représentation ainsi qu’avec les concepts tirés des choses elles-mêmes, il est impossible de dire quelque chose de plus lumineux que ce que nous lisons là-dessus dans l’œuvre de Schopenhauer ; c’est pourquoi il est superflu de nous y arrêter plus longtemps et nous abordons l’objet propre de cet essai qui est l’étude de la nature même du musicien.

Seulement nous avons encore à nous attarder devant un arrêt important concernant le jugement esthétique sur la musique en tant qu’art. Ainsi, de ce que la musique par ses formes paraît se rattacher à la représentation extérieure on a voulu lui imposer des exigences absolument folles et contraires à son essence même.