Page:La Revue blanche, t8, 1895.djvu/244

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Quand je fais une visite, j’ai soin, dès mon entrée, de redresser les tableaux qui ne sont pas droits.

Ainsi, l’oreille déjà fermée, je peux écouter, sans que mon œil souffre.


Puisque nous ne pouvons parler l’un après l’autre, tâchons de parler avec ensemble, au pas.


La Cage.

Eloi ne comprend pas qu’on tienne des oiseaux prisonniers dans une cage.

— De même, dit-il, que c’est un crime de cueillir une fleur, et personnellement je ne veux la respirer que sur sa tige, de même les oiseaux sont faits pour voler.

Cependant il achète une cage ; il l’accroche à sa fenêtre. Il y dépose un nid d’ouate, une soucoupe de graines, une tasse d’eau pure et renouvelable, une balançoire et une petite glace.

Et comme on l’interroge avec surprise :

— Je me félicite de ma générosité, dit-il, chaque fois que je regarde cette cage. Je pourrais y mettre un oiseau et je la laisse vide. Si je voulais, tel merle farouche que la vieillesse ne blanchit pas, tel chardonneret pimpant qui sautille, ou tel autre de nos oiseaux variés serait esclave.

Mais grâce à moi, l’un d’eux au moins reste libre. C’est toujours ça.


— Où diable prenez-vous ce que vous dites ?

Eloi : — Voilà. C’est un jeu d’enfant. Je cours après des papillons. Je n’attrape que les noirs. Ensuite je les broie, et ça me fait une encre où je n’ai qu’à tremper ma plume pour trouver le mot cruel.

Jules Renard.