Page:La Revue des revues de 1890 à 1900, 1899, T3.djvu/135

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conduite des uns ont eu des conséquences plus terribles que les faiblesses, les taches ou les vices des autres ! Si Mme Roland, cette noble figure, certain soir d’Opéra, avait pris sur elle de tendre la main à Danton, les Girondins n’auraient peut-être pas été sacrifiés, les massacres de Septembre n’eussent pas eu lieu et la révolution, restée plus pure, évitait les excès qui l’ont perdue.

D’ailleurs les rôles sont différents dans l’humanité et les plus hautes vertus des hommes sont contradictoires entre elles. Chaque profession a les siennes. Décider de la supériorité des unes sur les autres est aussi impossible que de trancher la question entre les différents types de beauté. Chacune d’elles est bien à sa place et hors de sa place est un défaut.

Si j’ai un fils cordonnier, lui donnerais-je pour modèle Léonidas ? S’il est militaire, lui proposerai-je en exemple Descartes, quittant l’épée pour méditer dans un poêle, la plume à la main, ou Spinoza vivant d’une vie d’ascète et polissant des lunettes pour vivre et achever son éthique ? Ce sont là vertus de philosophes ; autres sont les vertus des hommes d’action. Il me semble donc bien impossible de choisir un type de vertu humaine qui puisse servir de patron commun à tous les hommes, dans les conditions si variées de leur existence. Si je proposai à mon fils de se modeler sur Raphaël ou Michel-Ange, si différents entre eux, sur Bacon ou Newton, d’honnêteté très inégale, sur Bonaparte ou sur Voltaire, de génies si différents, il pourrait me répondre : m’as-tu d’abord donné leur génie ?

Agréez, je vous prie, Madame, l’expression cordiale de mes sentiments sympathiques.

Clémence Royer.

Une autre penseuse et une combative, Mme Pognon, s’abstient pour des motifs philosophiques qui valent d’être retenus.

Madame et chère collègue,

Pour donner à nos fils comme modèle, un homme de l’histoire, il faudrait avoir rencontré dans l’histoire l’idéal de la perfection, telle que nous la rêvons ; or tous les hommes ont eu leurs faiblesses dévoilées ou devinées.

Les fondateurs de religions ont été des hommes remarquables jour leur temps, mais leur morale est difficile à suivre actuellement : le bon chrétien qui en recevant un soufflet tendrait l’autre joue ne ferait pas son chemin dans ce monde. Il faudrait habituer nos fils, aussi bien que nos filles, à développer leur conscience et leur individualité, en ne copiant personne, mais en s’assimilant tout ce qu’il peut y avoir de beau et de bon dans les héros de l’histoire passée ou moderne. Voilà, chère Madame, ma modeste opinion sur ce sujet.

Cordialement à vous,

Maria Pognon.

Après la libre-penseuse ayant laissé de côté les dogmes, voici la