Page:La Revue hebdomadaire, année 19, tome 3, n° 10, 1910.djvu/153

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commerce avec Victor Cousin, mais elle ne lui gardait qu’une affection distraite et communiquait cruellement ses lettres à Flaubert. « Merci, s’écriait ce dernier, de l’envoi de la lettre de Platon. J’ai compris le sens de cet envoi… Tu me donnes tout, pauvre ange, ta gloire, ton passé, ton cœur, l’amour des gens qui te convoitent ! »

La dissemblance de leurs natures était cependant trop complète pour que le désaccord ne vînt pas assez vite. La première ivresse dissipée, Flaubert aurait voulu trouver dans cette intimité des joies intellectuelles plutôt que de fougueux transports : « Je voudrais faire de toi, disait-il, quelque chose de tout à fait à part, ni amie, ni maîtresse… On n’aime pas assez son amie, on est trop bête avec sa maîtresse. » Et volontiers, sur ce principe, il oubliait la femme pour ne plus penser qu’à la Muse. Or c’est là justement, c’est sur le terrain littéraire qu’il leur était le plus difficile de s’entendre. Comment le styliste impeccable, l’artiste impersonnel, amoureux de la forme, épris de l’art pour l’art, aurait-il admis l’esthétique d’une femme sentimentale, ne sachant que chanter l’amour, que livrer son âme au public, en des vers d’une facture lâchée, imprégnés, comme disait Flaubert, de « tendromanie féminine » ? Il lui reconnaissait cependant certains dons, de la force dans l’expression, une entente instinctive de la couleur et du relief, et le sentiment dramatique. « La nature, lui écrivait-il, s’est trompée en faisant de toi une femme, tu es du côté des mâles. » Aussi s’efforçait-il de la convertir graduellement aux idées qui lui étaient chères, et ses lettres, de plus en plus, au lieu de tendres effusions n’étaient remplies que de dissertations, de conseils littéraires, quelquefois aussi de critiques.

Ce n’était, en aucune façon, l’affaire de Louise Colet :

« Tu me dis : aime l’art, il vaut mieux que l’amour »,