Page:La Revue hebdomadaire, année 19, tome 3, n° 10, 1910.djvu/159

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L’intimité dura six mois. Musset, malade et affaibli, fut promptement fatigué de cette Muse emportée. Il n’alla plus la voir qu’à de rares intervalles, puis il n’y alla plus du tout. Alors elle vint chez lui. Quelles scènes il dut subir, on peut l’imaginer d’après le trait suivant : Mme Colet, au fort de la liaison, avait donné son portrait au poète ; il le plaça chez son concierge, avec cette recommandation : « Chaque fois que cette personne viendra me demander, vous répondrez que je suis à la campagne. » Mais, un matin, elle monta tout droit chez Musset : « Qu’as-tu fait de mon portrait ? » Et puis des cris, des injures, des menaces, un épouvantable ouragan… Elle s’en alla enfin, faisant claquer les portes et le laissant anéanti. Elle ne revint qu’au lendemain de sa mort, pour offrir ses services, qu’on se garda bien d’accepter. Et tout finit par un poème, où elle célébrait leurs amours, dont peu de gens, à cette époque, avaient eu connaissance.

Elle retomba de nouveau sur Flaubert, d’un poids toujours plus lourd. Les lettres du grand écrivain, dans ce lent crépuscule d’une liaison au déclin, dénotent un énervement douloureux, qui souvent touche à la colère : « Toujours sauvage ! Toujours féroce ! Toujours indomptable et passionnée ! Quelle étrange créature tu fais ! » Dans un billet qui date du printemps de l’année 1854, il décrit ainsi leurs rapports : « Je crois que nous vieillissons, rancissons ; nous aigrissons et confondons mutuellement nos vinaigres. » Dans une des dernières lettres, on lit cette phrase bizarre : « J’ai toujours essayé de faire de toi un hermaphrodite sublime. »

Chaque entrevue n’est plus qu’une longue bataille. Un jour où elle l’invectivait avec une fureur acharnée, Flaubert, assis au coin du feu, la tête baissée, ne disait mot ; ses regards tombèrent tout à coup