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LA SAVOIE DU NORD.

que l’on a fait subir à la patrie. Le peuple sentant qu’il ne peut lutter contre l’invasion, sait conserver une noble contenance : blessé dans sa dignité nationale, déçu dans toutes ses espérances, trop faible pour repousser la force par la force, il écrase les envahisseurs de tout le poids d’une silencieuse désapprobation.

Oui il est encore des hommes dans nos montagnes ! Il coule encore dans nos veines le vieux sang des Allobroges !

Ce qui est, est ; ce qui doit être sera.


Lorsqu’en 1792, la Savoie voulut s’annexer à la France, les députés des communes se réunirent à Chambéry sous le nom d’assemblée des Allobroges. Là ils constituèrent la Savoie en nation et envoyèrent une commission à Paris pour traiter de peuple à peuple. — Cette commission se présenta devant ces fiers conventionnels qui faisaient trembler l’Europe et savaient discuter, sans se troubler, les intérêts de la patrie sous le couteau révolutionnaire, elle se présenta debout, le front haut et obtînt les honneurs de la séance.

Lorsqu’on 1800, on voulut annexer la Savoie l’empire français, quarante individus partirent sans mandat et furent reçus aux Tuileries sans vérification de pouvoirs. — L’odieux marché fut arrêté… et chacun s’en alla dîner.

Parisiens, héros de 1830 et de 1848, fils des valeureux volontaires de Jemmapes et de Valmy, vous avez vu défiler honteusement sur vos boulevards ces obliques marchands de chair humaine, venus pour escompter leur patrie.

Français, accepterez-vous jamais de pareils êtres pour compatriotes ?

Vous les renierez, n’est-ce pas, comme nous les avons reniés.

Les traitres ne sont d’aucun pays.


LE VOTE EST LIBRE.

Un traité du 24 mars 1860 cède la Savoie à la France sous une triple condition. On consultera les populations, on sauvegardera les intérêts de la Suisse, on obtiendra l’assentiment des grandes puissances.

Le vote est libre !

Pour écarter les influences étrangères, le gouvernement sarde retire ses deux gouverneurs de la Savoie et leur substitue provisoirement deux de nos compatriotes dont la mission spéciale est de conserver la plus grande impartialité entre les partis. M. Lachenal, gouverneur provisoire de la province d’Annecy, nous invite officiellement à respecter l’ordre tout en manifestant librement nos sympathies pour la France.

Et pourtant le vote est libre !

Vous voterez pour France ou Piémont, nous dit-on d abord, vous aurez la liberté de choisir entre le Piémont qui ne vous veut plus et la France qui vous veut absolument. — OUI ou NON, dit-on ensuite, OUI, c’est-à-dire la France, la France avec un gouvernement qui, bien que peu sympathique à la majorité de nos compatriotes, offre une apparente tranquillité et une stabilité illusoire après tant d’orages. — NON, c’est-à-dire le vague, l’inconnu, le mystère, la continuation de la crise. Est-ce le Piémont ? Est-ce la Suisse ? Est-ce l’indépendance nationale ? N0N — c’est peut-être la guerre civile !

Et pourtant le vote est libre !

Les tendances du midi de la Savoie se partageaient entre la France et le Piémont ; celles du nord entre la suisse et la France. — France et Suisse voilà le terrain que nous acceptions pour peur, on a vu que la victoire échappait, on connaissait assez nos populations pour être sûr de la défaite : le nom de la Suisse a été exclu du vote. Nous pouvons voter oui et zone, mais nous ne pouvons voter non et Suisse.

Et pourtant le vote est libre !

Une annexion à la France est officiellement annoncée ; nos départements ont leurs noms, on désigne déjà les sous-préfets de nos arrondissements. La zone pour la Savoie du nord n’est plus une promesse ; une proclamation émanée de l’administration donne la nouvelle certaine de cette concession : plus de douanes. Nous sommes Français bon gré, malgré ; et l’on fait croire à nos concitoyens qu’il faut nonobstant voter oui, parce que c’est du nombre de nos adhésions à la France que dépendront la bienveillance du gouvernement français, la prospérité de nos provinces et l’avenir de nos communes.

Et pourtant le vote est libre !

Les municipalités sont chargées de former les listes électorales et ont le monopole de la surveillance du scrutin ; les résultats locaux seront transmis par les comités ainsi formés aux intendances, qui les remettront à la cour d’appel ; la cour d’appel proclamera le résultat définitif du suffrage universel. — Les municipalités ont envoyé leurs plates adhésions, elles ont arboré un drapeau étranger, elles ont acclamé l’invasion ;… on peut compter sur les municipalités ! Les administrations de nos arrondissements ont adressé à tous les syndics des circulaires pour signifier aux communes notre annexion à la France et engager les administrés à voter pour avoir la zône ;… on peut compter sur les administrations ! La cour d’appel de Chambéry veut continuer à être la cour d’appel de Chambéry… on peut compter sur la cour d’appel de Chambéry !

Et pourtant le vote est libre !

Un commissaire impérial parcourt officiellement la Savoie ; il en prend possession au nom du maître ; il donne des ordres, fait des promesses et s’informe bien sommairement des intérêts du pays. Par ordre de nos administrateurs, le drapeau français flotte en dépit de la police sarde et réjouit l’œil de l’émissaire de l’empereur ; le drapeau italien qui porte la croix immaculée de Savoie, le drapeau de Goïto et de Volta est jeté au rebut.

Et pourtant le vote est libre !

On a semé partout l’intimidation et la peur ; les citoyens se taisent comme si leurs droits n’étaient déjà plus sauvegardés par l’immortelle constitution du 4 mars 1848. Il est des regards qui désignent des victimes, il est des bouches qui profèrent l’affreux cri du vœ victis, il est des hommes qui préparent dans l’ombre leurs menaçantes dénonciations et qui, assurés du succès, laissent transpirer leurs intentions lâches et odieuses. On n’a pas crié ; Vive la France, mais on a crié : mort aux Suisses… c’est la terreur.

Et pourtant le vote est libre !

Nous avons les mouchards en attendant les gendarmes.

Et pourtant le vote est libre !

Oh ! français, après Montebello, Palestro, Magenta et Solferino vous pouviez vous emparer de nous, nous eussions préféré le fait brutal à une diplo-