Page:La Savoie du nord, 5 mai 1860.djvu/3

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et nous l’avons vue pencher du côté de la Suisse.

Nous avons préféré l’état du laboureur et de commerçant à celui de soldat, la chanson qui égaie la chaumière ou l’atelier à la guerrière fanfare qui fait pâlir les mères. À ceux qui nous ont crié : gloire, nous avons répondu : liberté. — Nous avons voulu être Suisses, parce que ce pays assurait notre indépendance individuelle et nationale, faisait asseoir le bien-être au foyer de toutes les familles et nous promettait une longue tranquillité politique que ne pouvaient atteindre les violentes secousses inséparables des gigantesques desseins de la France.

Si, malgré tous nos efforts, notre annexion doit se consommer, plus que tout autre, nous aurons le droit d’appeler la France : mère ; car nous n’avons jamais considéré la France comme un être qui vient au devant des ambitieux, les pleines de décorations, de places et d’honneurs ; nous avons toujours laissé aux organisateurs du suffrage universel le soin de la voir sous cet aspect : nous n’avons jamais vu dans la France qu’un pays qui méprisant les désirs mesquins et les petites ambitions, viendra dire à ses nouveaux enfants : « Je vous associe à ma mission, à mon apostolat ; accourez, venez partager mes fatigues, mes périls, mes sacrifices, mes gloires et mes revers. »

Nous voulions épargner à nos provinces le dur poids de leur part de travail dans cette entreprise immense.

Un jour viendra où nos compatriotes diront : « Voilà qu’on exerce sur nos prêtres une pression telle que nos intérêts religieux en sont lésés ; voilà que non contente d’avoir doublé l’impôt, la France fait appel à la générosité des citoyens et nous demande nos biens : voilà qu’on nous prend nos fils pour les envoyer à Moscou, en Afrique, en Chine. »

Nous leur répondrons : « La France tient les rênes du char du progrès, si vos prêtres s’opposent à sa marche, elle renverse l’obstacle et avance. La France a besoin d’argent, elle recourt aux dons patriotiques, si vous possédez quelque chose, apportez-le sur l’autel de la patrie ; si vous ne possédez rien, empruntez pour apporter. — La France a besoin de vos fils, qu’ils partent, qu’ils aillent à Moscou, en Afrique, en Chine ; partout où ils iront, ils porteront l’idée et la civilisation sera avec eux : que ce soit la victoire ou la défaite qui les attende, qu’ils partent, c’est l’intérêt des peuples qu’ils vont délivrer et constituer en nation : qu’ils doivent rentrer estropiés sous le toit paternel ou éparpiller leurs cadavres sur les rives glacées de la Bérésina ou sur les sables brûlants des déserts africains, qu’ils partent, parce que là où est tombé un Français, germe une idée ; le sang qu’ils répandront fécondera la terre et promettra une riche moisson pour l’avenir.

Lorsqu’après une forte marée, l’Océan se retire, il laisse après lui des épaves, des galets, des coquillages, comme pour dire : ce terrain m’appartient, je le marque de mon sceau.

Lorsqu’écrasée par les éléments ou par les hommes, la France, cet autre Océan, se retire, ce n’est ni une déroute, ni une défaite ; les débris qu’elle laisse après elle sont là pour dire : ce terrain appartient aux idées françaises.

Ceux qui ont voté le 22 avril, se réjouiront-ils alors d’être Français ? Ne regretteront-ils point le temps où ils n’avaient qu’à vouloir être Suisses pour le devenir ? Ne se repentiront-ils point de s’être abandonné à une destinée glorieuse, mais pénible, quand ils pouvaient se mettre à tout jamais à l’abri des révolutions et acquérir pour toujours la liberté et le bien-être.


Quand deux plaideurs se disputent un champ limitrophe ; que l’un réclame le tout et que l’autre ne veut rien céder, on en vient ordinairement à une transaction, à un accommodement.

La Savoie neutralisée est le champ en litige ; la France et la Suisse sont les deux plaideurs ; l’Europe sera l’arbitre pour concilier les parties.

Dans une transaction, chacun des plaideurs cède à l’autre une partie de ses prétentions et quand il s’agit d’un champ, on le partage, on le démembre.

La conclusion logique est que notre pays sera probablement l’appoint avec lequel on paiera chacune des ambitions rivales. Nous voudrions être mauvais prophètes, mais nous ne pouvons nous empêcher de redouter l’avenir qui se prépare.


FRANCE ET ZONE

Voilà le cri de ralliement de nos adversaires et la panacée qu’ils nous ont offerte pour guérir les maux de la patrie.

Examinons la signification du cote ; elle est intéressante.

Quel est de ces deux noms celui qui a eu l’influence prépondérante sur le vote des électeurs du nord de la Savoie ? Nous avons regret de le dire pour l’honneur de la France, mais tout le monde reconnaît que la zône était un passeport sans lequel la France ne pouvait entrer.

Ce passeport obtenu, on a dit aux population : « Vous ne pouvez pas voter pour la Suisse, c’est défendu ; mais si vous ne pouvez avoir le tout, ayez au moins une partie et votez France et zône. » Aussi le paysan, dans son langage naïf, ne disait pas : « Je vote pour la France, » mais simplement : « Je vote pour la zône. »

Que signifie une zône.

Le besoin d’une zône indique que la population qui la réclame a tout son commerce avec le peuple voisin et fort peu avec ses propres nationaux. Elle prouve chez nous que nos intérêts industriels et commerciaux sont avec la Suisse et non avec la France.

Que conclure de là, sinon que les habitants de la Savoie du nord ont consacré par un vote que leur bonheur et leur bien-être matériel sont liés au sort de Genève.

Nous n’avons jamais soutenu d’autre thèse. Or, quand deux peuples ont les mêmes intérêts, ils ont la même nationalité, d’après la règle que l’intérêt est la mesure des nationalités, comme elle est dans le droit la mesure des actions.

Donc, en votant zône dans les conditions qu’on lui a faites, l’habitant de nos pays a défini lui-même sa nationalité et a mis plus de Suisse que de France dans l’urne électorale.


Nous avons toujours soutenu que la zône ne serait jamais qu’un concession temporaire et que cette promesse n’était faite que pour préparer la réussite du suffrage universel.

Les évènements nous donnent déjà raison au lendemain du vote.

Le Bon Sens d’Annecy, avant que l’urne soit complétement fermée, se pose déjà en adversaire de cette franchise et demande ouvertement qu’on n’en fasse pas l’objet d’un traité international, afin, dit-il,