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L’ESTHÉTIQUE DE LA VIE

fumée. C’est, à mon avis, un acte très boiteux et pas assez général. Mais rien n’empêche ces amoureux de l’art de se donner à eux-mêmes une loi, et de se faire un point d’honneur de réduire à son minimum cette nuisance de la fumée, en ce qui concerne leurs propres usines. Et s’ils ne le font pas, parce que cela leur coûterait simplement de l’argent, et encore si peu, je dis que leur amour pour l’art n’est qu’un masque. Comment pourriez-vous vous intéresser à la peinture d’un paysage, lorsque par vos actions vous montrez que le paysage lui-même ne vous intéresse pas ! Ou bien, quel droit avez-vous de vous enfermer dans un milieu où s’épanouit la beauté de la forme et des couleurs, lorsque vous rendez impossible aux autres d’y avoir quelque part ?

Et quant à l’acte même sur la fumée, j’ignore de quelle façon vous l’appliquez à Birmingham[1], mais j’ai constaté moi-même le soin qu’on y apporte en d’autres localités, à Bradford notamment, quoiqu’il y ait tout près à Saltaire un exemple qui devrait faire honte. L’énorme cheminée qui y dessert des acres de tissages et de filatures, appartenant à Sir Titus Salt et à ses frères, est, pour la fumée, aussi inoffensive qu’une cheminée de cuisine. Ou encore à Manchester : un habitant de cette ville m’a affirmé que l’acte sur la fumée y reste littéralement lettre morte. Eh bien, on achète des tableaux à Manchester ; on s’y vante de favoriser les arts ; mais, comme vous le voyez, ce ne peut être qu’une vaine ostentation, en ce qui concerne les riches du moins. Ils veulent seulement en parler, mais leur conduite même en parle assez.

J’ignore la façon dont vous agissez ici en cette matière. Mais permettez-moi de vous le dire, si vous ne songez pas à vous en occuper d’une façon quelconque, vous n’en êtes pas encore au commencement du chemin que vous devez vous frayer pour arriver au succès dans les arts.

Ces choses constituent une nuisance absolue, qui est un exemple des pires fléaux et qui excuseraient un homme, dans un accès de mauvaise humeur, d’appeler ce siècle celui des nocuités plutôt que celui du commerce. Je laisserai maintenant ce point à la conscience des personnes riches et influentes parmi vous, et je parlerai d’une incommodité moindre et qu’il est dans le pouvoir de chacun de nous de faire cesser. Quelque petite qu’elle soit, elle est tellement irritante, que si mes paroles pouvaient seulement convaincre une vingtaine de personnes parmi vous pour s’en occuper sérieusement, je considérerais comme excellent le résultat de ma soirée. Je veux parler des papiers de sandwiches, — vous riez, naturellement. Mais n’allez-vous pas,

  1. Comme des personnes étrangères à Birmingham lisent ces lignes, je devrai ajouter qu’il a été établi par l’autorité même, à la réunion où j’ai prononcé ces paroles, qu’à Birmingham la loi est strictement observée.