Page:La Société nouvelle, année 12, tome 2, 1896.djvu/19

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actuel de l’organisation industrielle, l’homme peut faire des clous, des canifs, tisser à la main des étoffes de coton, mais cet état de choses ne durera pas. La machine doit supprimer le métier manuel pour la confection de tous les articles qui ne nécessitent aucun soin artistique, tandis que les objets qui appartiennent plus exclusivement au domaine de l’art et du goût, et qui aujourd’hui sont presque tous exécutés mécaniquement, seront réservés au travail manuel. Pourquoi les cotons, les lainages, les soieries que l’on fait à la main dans les villages ne seraient-ils pas confiés aux machines dans ces mêmes villages, comme cela a été fait pour les tricots avec une économie notable de main-d’œuvre qu’on pourrait si utilement employer à d’autres usages ? Il n’y a pas de raison pour que de petits moteurs mécaniques ne rendent une infinité de services pour lesquels l’usine n’est pas indispensable, ni de raison pour que le village ne possède une fabrique quand le besoin s’en fait sentir, ce qui s’est déjà vu en Normandie. Sous le présent système capitaliste, l’usine est évidemment un fléau pour le village, dont il transforme les habitants en autant de prolétaires, et on comprend que ceux-ci n’en veulent à aucun prix surtout lorsque, comme à Sheffield et à Sollingen, ils réussissent à conserver leurs antiques organisations de métiers, ou si, comme dans le Jura, ils ont pu se garder de la misère noire. Mais il n’en est pas moins vrai qu’une organisation intelligente et humanitaire ferait de l’usine une institution excellente pour le village.

On conçoit le bien-être physique et moral qui résulterait de cette répartition du travail entre l’usine et les champs. Mais la difficulté consiste, nous dit-on, dans l’obligation où l’on est de centraliser les industries modernes. La centralisation a beaucoup d’admirateurs, il est vrai, en industrie aussi bien qu’en politique, mais les centralisateurs ont un idéal qui nous paraît sujet à caution. L’étude des industries modernes nous montre qu’évidemment la réunion de centaines, de milliers d’ouvriers peut être quelquefois indispensable : les hauts-fourneaux, les travaux des mines appartiennent à cette catégorie ; des transatlantiques ne sauraient être construits sur des chantiers de villages ; mais nombre de nos grandes fabriques ne sont que des agglomérations d’industries diverses, sous une direction commune, tandis que d’autres sont des collections de machines uniformes, faisant toutes la même besogne. Telles sont la plupart de nos gigantesques filatures, de nos tissages monumentaux. Les manufactures étant des entreprises privées, leurs possesseurs trouvent avantageux d’exploiter en même temps tous les dérivés d’une industrie initiale. Mais au point de vue technique, cette concentration est plutôt nuisible que désirable. L’industrie cotonnière même, si centralisable qu’elle soit, n’aurait rien à perdre de la dissémination des multiples travaux auxquels elle donne lieu.