Page:La Société nouvelle, année 12, tome 2, 1896.djvu/316

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l’éloge cité. Ainsi, M. Auguste Reichel écrit : « D’après des appréciations qui, rarement, s’échappèrent de sa bouche, je puis seulement dire qu’il vouait à son père une estime et un amour sans bornes et qu’il ressentait pour sa mère une aversion aussi prononcée, qui même, d’après sa propre expression, se haussait jusqu’à la haine. Il n’eut encore avec ses frères et ses sœurs aucun rapport d’affection, et ce ne fut que pour son frère Paul, plus jeune que lui, et pour sa sœur Tatiana qu’il conçut et garda une cordiale sympathie. » De même André Costa, dans sa biographie (1877), basée dans cette partie sur des récits de Bakounine lui-même, rapporte l’orgueil aristocratique de la mère, ses préjudices et son influence sur son mari. Quant aux sentiments de Bakounine pour ses frères et sœurs, racontés par Reichel, ils datent d’une époque postérieure, quand la vie avait déjà fait connaître dans quel degré il fallait compter sur leur solidarité : sur cela il y a de nombreux témoignages dans les lettres à Herzen et à Ogareff.

Sur la vie d’enfance de Bakounine je n’ai pas trouvé d’autre information que celle contenue dans une nécrologie russe, un feuilleton de grand journal — je n’en ai eu en mains que la coupure, peut-être est-ce Russkii Mir ? — où il est dit : « Dès l’enfance se montrèrent en lui les commencements d’un caractère fort, d’une volonté ferme et en même temps une inclinaison vers des rêveries sans but, maladives. On raconte que déjà dans la maison paternelle il composa des représentations de grands faits, se donnant le rôle de premier héros, de chef. On dit que dès sa première jeunesse il s’enfuit souvent de la maison paternelle et qu’il donna à sa fuite un coloris romantique, en l’adornant de divers détails. Cette passion pour des voyages secrets dans le gouvernement de Tver inquiéta d’abord son père ; plus tard il devint indifférent envers ces excentricités de son fils et quand on lui fit part d’une nouvelle fuite de son fils, il donna paisiblement l’ordre de lui envoyer une fourrure et de bons souliers, acceptant la fuite même comme un fait inévitable, quoique singulier. »

Ces observations coïncident avec ce que Bakounine raconte plus haut, avec cette différence que ce que lui-même donne pour des pensées et des intentions, l’auteur inconnu le donne pour des faits arrivés. Cette différence est immatérielle ; mais des deux témoignages la tendance de ces rêves de jeunesse reste établie.

Combien notre connaissance du développement intellectuel ainsi que de la vie extérieure de Bakounine serait plus riche s’il avait continué sur les neuf pages suivantes du manuscrit ces indications précises des trois premières pages. Mais suivant son habitude, dès qu’il subdivise un sujet, la première