Page:La Société nouvelle, année 14, tome 1, 1908.djvu/16

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Presse de Kelmscott, dont les caractères ont été fondus pour lui et dont quelques exemplaires ont été imprimés par sa main. Parmi ces livres, dont la plupart sont malheureusement hors de prix, il convient de noter Le Morte d’Arthur, avec illustrations d’Aubrey Beardsley et surtout les Contes de Canterbury de ce Chaucer que Morris considérait comme son maître. Il eut le bonheur de pouvoir achever ce dernier ouvrage peu de temps avant sa mort.

Il importe d’exposer ici quelques-unes des idées de William Morris sur le rôle de l’artisan dans la création de l’œuvre d’art. Personne n’a haï avec plus de violence, sauf peut-être Ruskin, la machine qui transforme l’artisan intelligent en un automate inconscient. Ce qui fait la valeur de l’œuvre de l’artisan, comme de celui de l’artiste, c’est son cachet personnel. Or la machine répète et banalise tout ce qu’on lui confie. L’élément humain en est absent. Aussi William Morris avait-il proscrit de Merton Abbey tous les outils perfectionnés, et n’a-t-il gardé que ceux dont nos pères se servaient pour accomplir leurs chefs-d’œuvre.

Étrange contradiction d’un grand esprit ! William Morris, qui acceptait toutes les obligations morales de son temps en vue d’un avenir meilleur, en refusait l’héritage matériel. Il faut poser ici quelques questions. Comment et à quel point précis s’arrêter dans la voie du progrès pratique ? Si vous profitez de la voiture, pourquoi renoncez-vous au chemin de fer, contre lequel Ruskin, entre autres, fulmina de façon assez grotesque ? La vieille presse à bras dont se servait William Morris n’avait-elle pas supprimé en son temps le travail autrement personnel du scribe ? Et si la machine peut répandre à vil prix des objets aux formes harmonieuses, pourquoi les artistes ne la soumettraient-ils pas à leur service ? Cette initiation à la beauté donnerait au peuple une idée plus haute de l’œuvre purement personnelle de l’artiste ; La vente des moulages de la Venus de Milo n’a jamais nui, que je sache, à la gloire de son auteur inconnu. Si les artistes de profession persistent à bouder leurs contemporains, c’est en dehors d’eux que s’élaborera la beauté future, dont les artisans seront les ingénieurs, les métallurgistes et les électriciens. Quel poète, en effet, n’a pas rêvé les fêtes splendides de l’avenir, où, dans des palais de fer aux arceaux aussi harmonieux que l’ogive gothique, aux vitraux éclatant en fastueuses floraisons sous l’éclairage électrique, le peuple déroulera au