Page:La Société nouvelle, année 8, tome 1, 1892.djvu/333

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je devais faire semblant de recevoir comme quand on joue. Mais la fille prit un délicat petit panier dans un rayon à côté d’elle, alla vers un bocal, prit une quantité de tabac et mit le panier rempli devant moi sur le comptoir ; je pouvais voir et sentir que c’était de l’excellent latakia.

« Mais vous ne l’avez pas pesé, dis-je, et… combien puis-je en prendre ? »

« Eh bien, répondit-elle, je vous conseille de remplir votre blague, parce qu’il se peut que là où vous allez, vous ne trouveriez pas du latakia. Où est votre blague ? »

Je me fouillai et à la fin sortis de ma poche le morceau de coton imprimé qui remplit pour moi l’office de blague à tabac. La fille le regarda avec quelque dédain et dit :

« Cher voisin, je puis vous donner quelque chose de mieux que cette loque de coton. » Et elle courut légèrement à l’autre bout du magasin et revint bientôt. En passant près du garçon, elle lui souffla quelque chose dans l’oreille ; il inclina la tête, se leva et sortit. La fille tenait entre le doigt et le pouce une blague en maroquin rouge brodée joliment, et me dit : « Voilà, j’en ai choisi une pour vous et vous allez l’avoir : elle est jolie et contiendra beaucoup ».

En même temps, elle la remplit de tabac et la mit devant moi en disant : « Maintenant, votre pipe ; cela aussi, vous devez me laisser choisir pour vous ; il y en a justement trois jolies qui sont arrivées ».

Elle disparut de nouveau et revint tenant dans sa main une grosse pipe bombée, sculptée laborieusement dans du bois dur et montée sur or parsemé de pierreries. Bref, c’était le plus joli et le plus gai joujou que j’eusse jamais vu ; cela ressemblait, mais en mieux, aux plus délicats travaux des Japonais.

« Dear me ! » m’écriai-je quand je la vis, « tout ceci est trop beau pour moi, ce ne serait bon que pour l’empereur du monde. Puis, je la perdrai, je perds toujours mes pipes ».

L’enfant semblait un peu interdite et répliqua : « Ne vous plaît-elle pas, voisin ? »

– « Oh oui, certainement qu’elle me plaît ! »

— « Eh bien, alors, prenez-la et ne vous inquiétez pas de la perdre. Qu’est-ce que cela fait si vous la perdez ? Quelqu’un est sûr de la trouver et il l’emploiera, et vous, vous pouvez en avoir une autre. »

Je la pris de ses mains pour la regarder et en faisant cela, j’oubliai ma prudence et dis : « Mais comment pourrai-je payer une chose telle que celle-ci ? »

Comme je parlai, Dick me mit sa main sur l’épaule et, me retournant, je rencontrai son regard dans lequel il y avait une comique expression qui