Page:La Société nouvelle, année 8, tome 1, 1892.djvu/750

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Tu voudrais donner, répandre à pleines mains ton superflu. — mais toi-même, tu es le plus superflu ! — Sois prudent, ô riche ! — Donne-toi d’abord toi-même, ô Zarathustra !

Dix ans se sont passés, — et pas une goutte d’eau ne t’apparut ? — pas un vent humide ? pas de rosée d’amour ? — Mais qui donc devrait t’aimer, — ô richissime ? — Ton bonheur sèche tout à la ronde, — appauvrit en amour — un pays privé de pluie

Personne ne te remercie plus… — Mais c’est toi qui remercie chacun — de ceux qui prennent de toi : — Là je te reconnais bien, — ô richissime, — toi le plus pauvre de tous les riches !

Tu te sacrifies, ta richesse te torture, — tu te fatigues à donner, — tu ne te ménages pas, tu ne t’aimes pas : — la grande torture te domine toujours, — la torture des granges débordantes, du cœur débordant. — Mais personne ne te remercie..

Tu dois devenir plus pauvre, — ô sage sans sagesse, — si tu veux être aimé. — On n’aime que les souffrants, — on ne donne d’amour qu’aux affamés… — Donne-toi d’abord toi-même, Zarathustra !

— Je suis ta vérité…


F. Nietzsche

(Traduction de Georges Mesnil.)