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rité ; tous ont une destinée au-dessus de la mort ; l’âme est simple ; aux vertueux les splendeurs célestes : voilà les doctrines qui ont été chantées à son oreille, dès que le ciel eut déchiré les entrailles de sa mère pour lui donner le jour. Il a goûté presqu’en même temps et le lait du sein maternel et le rayon du miel céleste, l’ambrosie du spiritualisme — Aussi, voyez-le au moment où il se glisse hors du lieu de prières, où il sort de ces ténèbres mystiques qui renferment la reine future du monde, la vérité des évangiles ; voyez-le, il passe auprès d’un esclave souffrant et transi de froid, il l’appelle son frère ; et comme ce frère est glacé, il déchire en deux son manteau pour mettre à l’abri les épaules nues et glacées de son frère. Un païen est près d’eux ; il regarde, ne comprend pas et passe, ou va dénoncer le bienfait au préteur. Demain le chrétien sera martyr ; il faut qu’il soit chrétien, puisqu’il est sensible aux misères de l’esclave ; il faut le jeter aux lions : le peuple applaudira. Un autre enfant des mêmes Catacombes est traîné au supplice ; celui-ci est esclave de César, il ne le cache pas ; mais d’une voix sublime il s’écrie : « Je suis esclave de l’empereur, mais je suis chrétien et affranchi du Christ. » Ah ! quel noble culte s’élevait donc à cette époque, pour que l’affranchissement de l’humanité entière fût ainsi proclamé par tous et senti par tous ; pour que, sans distinction de naissance et de peuple, au seul nom du Libérateur, chacun se sentît égal aux autres et reconnût les autres pour ses égaux, et d’origine, et de devoirs et de destinées !

Aussi l’humanité fut-elle bientôt rappelée à sa dignité primitive. Le vieux peuple païen ne fut bientôt plus qu’un fantôme ; partout il fut remplacé par la multitude des néophytes ; les rugissements populaires, qui demandaient autrefois le sang des chrétiens, peu à peu s’affaiblirent pour s’éteindre ; les légions, les villes, les solitudes furent pleines de chrétiens ; l’enthousiasme et l’espérance étaient sortis du sépulcre qui avait rendu le Christ à sa divinité, l’homme à sa grandeur, à l’égalité, à la pensée infinie.