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donc deviné, ce moderne enfant de la vieille Grèce, que la poésie lyrique attendait un rayon de soleil, plongée qu’elle était depuis deux siècles dans l’ombre de l’oubli ?… Comment avait-il deviné que la France intelligente demandait un libérateur ?… Nul ne le sait sans doute ; mais sait-on bien ce que Chénier a fait de ces morceaux de fadeur, froids et vides, que le XVIIIe siècle appelait des élégies ? Il veut bien nous le faire connaître dans un seul vers, harmonie et délicatesse vivantes !


— « Le baiser, dans mes vers, étincelle et respire ».


Mais sait-on ce qu’il a fait de l’amour, de l’enthousiasme et de l’énergie, des trois rayons de la poésie spontanée ignorés avant lui ?… — Il en a fait Lamartine, Hugo, Barbier : le sentiment de la méditation ou de l’harmonie, l’ode, l’iambe !

Il a légué à notre avenir poétique un fécond et glorieux héritage ; il a bien mérité de notre littérature actuelle si étincelante, si mobile, si profonde aussi, quoiqu’on en dise ; car elle n’a d’autre passé, d’autre sève primitive que lui. Nous avons évité de le présenter au lecteur comme un esprit complet ; et, en effet, il ne l’était pas ; mais sans lui peut-être nous ne posséderions pas aujourd’hui ce qui fait l’envie du monde contemporain. — Que serait-ce donc si les deux principaux recueils de ses poésies étaient connus ! Tout le monde sait qu’il ne nous est parvenu que des esquisses à peine déterminées, que des fragments de poèmes tronqués, des ébauches imparfaites, des élégies, quelques iambes et quelques projets littéraires. — Le tout fut publié pour la première fois en 1819. André, en montant à l’échafaud, savait seul qu’un grand poète allait mourir.

Nous terminerons ici notre travail résumé sur cette secousse intelligente qui remue encore aujourd’hui l’Europe littéraire. Croyant que nous sommes en ses résultats sauveurs et salutaires pour l’avenir, nous regrettons de n’avoir pu la développer au point que demandait son importance ; mais du