Page:La Variété, revue littéraire, 1840-1841.djvu/172

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 168 —

faites donc quelque chose, je vous le demande, pour cette société malade, ramenez-nous aux lois de la nature, n’élargissez plus en riant la plaie qui nous dévore, mais de grâce, prenez-nous en pitié. Ah ! dans ce marasme social, que d’esprits chancelants, que d’hommes vertueux à qui la vertu échappe ; combien d’autres tourmentés par le doute ; que de cœurs bien nés, tout obscurs qu’ils nous paraissent ; que d’âmes généreuses que le vice appelle et qu’il va dévorer ! Il ne faudrait qu’un mot peut-être, un mot du cœur, un cri d’ami pour ranimer en eux cette flamme sublime qui va pâlir et s’éteindre. Ils sont vertueux aujourd’hui, ils seront criminels demain et vous rirez ensuite. Faites-vous donc petits un instant, grands hommes du jour : Étudions un peu cette nature dont nous parlons sans cesse et que nous n’avons jamais observée. Étudions-la sans système, en hommes simples, ignorants, en hommes vertueux surtout, et pour cela, commençons par l’être. Oui, faisons quelque peu de bien ici-bas, car vous aurez beau dire, il y a quelque chose là qui nous crie que la vertu n’est pas un mot.

Je le sais, au sortir d’ici, vous serez encore de grands hommes et moi je ne serai plus qu’un fou, mais mon temps n’aura pas été perdu, si un seul d’entre vous daigne répondre à mon appel et pousser avec moi ces cris, nature et liberté, qui seront le mot de l’avenir. — Il est fou, interrompit Voltaire en riant, et fou à lier, ou je ne m’y connais pas. Puis, se tournant vers son furieux antagonise : Monsieur le Génevois, rappelez-vous le mot du fabuliste :


Ma commère, il vous faut purger
Avec quatre grains d’ellébore.


Le fou ne répondit pas, il devint sombre et rêveur. Voltaire lui-même parut presque triste, et quand le Génevois sortit, d’Holbach dit à Diderot : Ne nous amène plus ton songeur, car il nous échauffait la bile, Le songeur ne revint point en effet.