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naissant que les prodigieux talents stratégiques dont nous jouissions alors mes compagnes et moi méritaient bien un pareil honneur, je dois avouer, dis-je, qu’il était un peu étrange de voir cette cour, au milieu des graves et sérieuses occupations que lui donnait alors la France, s’intéresser aux innocentes évolutions de quelques puces savantes. Certes, elle pouvait mieux employer son temps, à moins que l’on n’admette, et je le croirais volontiers, que le but secret de cette séance ait été d’étudier notre ordre de bataille, pour en communiquer le plan aux chefs de l’armée, ce qui n’eût pas été si mal imaginé.

Quoi qu’il en soit, on se ferait difficilement une idée de la joie de notre cher industriel à cette flatteuse proposition. Le bonheur l’empêcha toute la nuit de fermer la paupière, ou s’il sommeilla quelque peu, ce ne fut que pour voir je ne sais quel songe doré faire tomber autour de lui une pluie de ducats du meilleur aloi. Le matin venu, il se leva à la hâte et procéda de suite à sa toilette, tandis que sa digne moitié en faisait autant de son côté. On commença par se nettoyer les mains et la face, qui en avaient besoin, la chose n’ayant lieu d’habitude qu’une fois par mois ; tout le savon du ménage y passa ; après quoi, le couple ainsi revu, corrigé et remis à neuf, alla chercher dans ses hardes ce qu’il pourrait trouver de plus convenable en fait de vêtements. L’examen n’ayant produit aucun résultat satisfaisant, vu que tout était à peu près dans le même état négatif de propreté, on se détermina, le cas étant urgent et la solennité importante, à se procurer quelque chose de mieux. En conséquence, mari et femme partirent, sur-le-champ, à la découverte de costumes. On était alors à l’époque du carnaval : aussi leurs recherches ne furent pas longues ; et, une demi-heure après, ils nous revinrent fagotés, lui en indien assez laid, elle, en amazone peu guerrière, — Ce fut sous cet accoutrement qu’ils se présentèrent au palais, après nous avoir prises avec eux, comme le lecteur le suppose naturellement.