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portait fort peu : j’attendais qu’il se relevât. La sonnette d’un enfant de chœur détermina, après cinq minutes séculaires, le mouvement désiré ; et, comme j’étais exactement en face, je demeurai immobile, pâle, et tellement inondé de joie et de frayeur tout ensemble, que je me crus attaqué d’une fièvre cérébrale. Mon regard s’éblouit et je tombai sur une chaise.

— Monsieur, me dit tout bas l’inoffensive voix du suisse, monsieur, pourquoi pleurez-vous ?

Je le regardai avec étonnement et j’étendis la main vers lui, comme pour l’engager tacitement à se mêler de ses affaires ; mais le digne homme, se méprenant évidemment, passa sa hallebarde de droite à gauche, tira de sa poche une modeste tabatière en mouffia, et me l’offrit avec politesse. Cette dernière prévenance m’exaspéra, et je repoussai la tabatière si brusquement qu’elle échappa de sa main. Il me lança un regard indigné, ramassa le mouffia vide, et s’éloigna d’un pas grave. Pour moi, je m’enfuis de l’église et je fus mêler, disait un académicien, ma douleur aux gémissements des flots orageux. Malheureusement, la mer était fort calme, et je pleurais de joie plutôt que de tristesse, quoique je ne susse pas trop ce que j’éprouvais : mon premier amour m’avait assailli comme un coup de vent. Car j’étais amoureux, et amoureux de la plus délicieuse peau orangée qui fût sans doute sous la zône torride ! Amoureux de cheveux plus noirs et plus brillants que l’aile d’un martin de la montagne ! Amoureux de grands yeux plus étincelants que l’étoile de mer qui jette un triple éclair sous la houle du rescif !… et tellement amoureux, tellement ravi, le cœur tellement gonflé de bonheur… que je tombai malade dès le soir même, attendu que je ne voulais plus ni boire ni manger, ni parler ni dormir, et que j’étais