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— Et que comptes-tu faire ?

— Suivre ma vocation, être artiste. Ce que je vais vous dire va vous paraître insensé, et cependant ma destinée est attachée à la réalisation de cette œuvre. De grandes choses ressent à accomplir pour porter le drame lyrique à son degré le plus élevé ; ce nouveau-né de Florence altend encore que quelque puissant génie l’élève à la hauteur de ses destinées ; mais ce n’est pas dans notre patrie de parfums et de fleurs que naîtra cet homme de l’avenir. Source féconde, mine intarisable où le monde moderne a puisé la vie de la pensée, l’Italie ne domine plus que par les souvenirs ; soleils éblouissants, les siècles d’Auguste et de Léon X se sont évanouis, les lyres de Virgile et de Torquato sont brisées !…

— Réponds franchement, Giovanni, où veux-tu arriver ?

— Mon père, à tout autre, le silence serait ma réponse ; car mes désirs sont orgueilleux. Je veux qu’on dise : Caccini et Peri bégayèrent la langue dramatique. Carisimi et Alexandre Scurlatti lui donnèrent le charme de la mélodie ; mais elle n’avait pas encore ce qui séduit et entraîne. Ce n’étaient pas les accents du cœur, les soupirs entrecoupés de la tristesse ; il fallait une muse plus élevée, une âme comprenant mieux Dieu.

Mon père, je veux que ce prédestiné soit Giovanni Pergolèse.

— Comment, sans les secours de la sévère étude, tu croirais réaliser tes vues démesurément ambitieuses ?

— Les formules de la science me sont familières ; un instant j’ai pensé me laisser séduire par leurs imposantes gravités ; si j’avais suivi les habitudes de la tradition, j’étais perdu. C’est aux âmes timorées, à ces voyageurs crainlifs qui n’osent franchir les limites connues, qu’il convient d’être les serviles imitateurs du passé. Les mâles génies, les fronts élus s’avancent