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et dans mon admiration outrée, j’en pris la raideur de caractère. Dante était mon idole, et en allant m’asseoir sur la place de la Cathédrale, je voyais toujours sa sévère figure effrayer la foule. Je fus victime de ce plagiat ; on attacha à mon nom une idée ridicule, et pour me corriger, on essaya de tuer ce qui pouvait exister en moi ; je n’en devins que plus opiniâtre dans mon rôle. Je me trouvais heureux d’être martyr, et dès ce moment je détestai les hommes, ou du moins je crus les haïr. Ma famille s’affligeait de mon humeur ; ma mère surtout, en qui j’avais foi, croyant que je la comprenais dans ma haine générale, pleurait en secret l’amour de son enfant, qu’elle croyait avoir perdu, lorsqu’un jour plus accessible et moins disposé à repousser les prévenances et les conseils que j’avais rejetés tant de fois avec mépris, je demandai à ma mère la cause de ses larmes ; elle me répondit : Juliano, j’ai perdu ta confiance, tu n’as plus droit à la mienne. Ces paroles m’anéantirent, j’en exagérai la portée ; je me laissai aller au désespoir ; sombre et résolu d’en finir avec la société, je courus m’’enfermer dans un cloître. Ma décision n’étonna personne, moi seul je fus dupe de ma détermination. Je croyais que dans ces solitudes religieuses, nul contrôle n’aurait assujetti mon âme. L’exactitude de la règle, la sévérité de la discipline achevèrent de me rendre malheureux ; le cloître peut être l’Éden des âmes calmes et sereines qui voient avec bonheur chaque jour réfléchir la même image ; mais malheur aux imaginations brûlantes, aux cœurs de feu, qui veulent se resserrer dans ces cellules ténébreuses pleines de deuil, de larmes et de blasphèmes ! Pour moi, je ne commençai à douter de Dieu que dans l’asile de la prière ; j’appelais la mort à grands cri : ce fut en vain, mon intelligence seule s’endormit ; les jeûnes, les macérations remplaçaient mes longues rêveries poétiques. Les moines m’avaient privé, je ne sais pourquoi, de tous mes livres, et après quelques objections que je m’étais permis de faire sur un texte de l’Écriture, ma bible elle-même me fut enlevée. Dix-huit