Page:La Variété, revue littéraire, 1840-1841.djvu/71

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 67 —

qui était spirituel va cesser de l’être ». — Ce n’est donc pas le moindre mérite du premier auteur comique de l’Angleterre, — Richard Blinsley Sheridan, — d’avoir osé s’affranchir, du moins en partie, de ce vice séculaire dans les annales de la littérature scénique. Aussi ses premières comédies eurent-elles un brillant succès, qui lui donna, quant à la forme, un cachet de puissance et d’originalité ; car cette forme seule appartenait à Sheridan ; c’était un grand imitateur. Lorsque Moore l’a salué du titre de Molière anglais, il est peu douteux que le poète irlandais se soit laissé emporter au-delà du vrai par l’enthousiasme de l’amitié. Ce talent comique se rapprocherait plutôt de la verve caustique de Regnard, à part toutefois la supériorité de l’écrivain français pour le dessin des caractères ; mais il y a loin de l’esprit de Sheridan au génie grave et profond de Molière. L’École de la Médisance, que ses compatriotes regardent comme son chef-d’œuvre, en fait foi, s’ils avouent que l’imitation entraîne un aveu tacite d’infériorité ; car cette belle comédie doit sans nul doute ses principales scènes à Tartuffe et au Tom Jones de Fielding. Joseph et Charles Surface sont deux habiles traductions. Néanmoins, un style précis et harmonieux, une gaîté irrésistible, l’heureux don d’une ironie piquante et digne pourtant, une finesse exquise, de la grâce, une facilité prodigieuse, — sont autant de qualités rares qui lui sont propres, et dont le mérite est précieux chez un auteur comique. Que Sheridan soit donc le seul d’entre ses rivaux dramatiques qui rappelle quelque peu Molière, c’est ce dont on ne saurait douter ; mais qu’il ait approprié le génie de notre grand écrivain à la critique des mœurs si différentes de son pays ; qu’il soit le Molière anglais, non par une simple imitation, mais bien par la même portée morale et littéraire, c’est une complète erreur. S’il est permis d’apprécier la réforme opérée par lui dans l’organisme de la scène, elle ne peut servir à sa gloire : cette vivacité de son action n’est que le résultat nécessaire de ses qualités personnelles. Ce n’est pas comme régénérateur que nous devons le con-