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race une sanglante persécution signée : Louis XV, le Bien-Aimé. Mon aïeule fixa sa résidence au château de Versailles, et eut la gloire de sauver d’une mort certaine, hélas ! cette fois seulement !… Marie-Antoinette, reine des Français » dans la funeste matinée du 6 octobre 1789. — Voici le fait tel que ma mère se plaisait à me le raconter dans mon enfance :

La reine, fatiguée d’une fête qui s’était prolongée un peu avant dans la nuit, dormait profondément ; sans se douter de l’orage qui grondait au dehors et de l’épouvantable danger qui la menaçait. Mon aïeule, qui avait l’adresse de se glisser toutes les nuits dans la couche royale, pour y dormir plus magnifiquement, sans bouger pourtant, car elle se rappelait l’imprudence dont sa mère avait failli devenir la victime ; mon aïeule, dis-je, entendit le tumulte, et comme elle avait l’intelligence fort développée, elle comprit aussitôt que la situation présente n’était pas sans danger pour celle dont elle avait l’honneur de partager le lit. Mais comment l’éveiller ? On court des risques à piquer prince ou princesse. Pourtant le péril était imminent ; le bruit croissait de minute en minute ; déjà le palais était envahi ; déjà l’on entendait les cris des soldats égorgés et le retentissement aigu du fer des assassins. À ce moment fatal, mon aïeule n’hésita plus ; décidée à se dévouer pour le salut de la reine, elle s’élança d’un seul bond sur la paupière droite de la royale dormeuse, et la lui piqua jusqu’au vif. Le moyen réussit heureusement : la reine porta vivement la main sur la partie blessée, et ce mouvement l’ayant réveillée, elle entendit le bruit qui grondait autour de sa chambre, et eut tout juste assez de temps pour s’enfuir à demi-vêtue par une porte dérobée, au moment même où la bande