Page:La Vie littéraire, I.djvu/122

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bleau du moyen âge. Si M. Leconte de Lisle l’a fait en trente-six vers (Siècles maudits dans les Poèmes tragiques,) c’est là un de ces raccourcis audacieux qui ne sont permis qu’aux poètes. Mais, tandis que j’écris, mille images éparses de la vie de nos pères brillent et s’agitent à la fois dans mon imagination ; j’en vois de terribles et j’en vois de charmantes. Je vois de sublimes artisans qui bâtissent des cathédrales et ne disent point leur nom ; je vois des moines qui sont des sages, puisqu’ils vivent cachés, un livre à la main, in angello cum libello ; je vois des théologiens qui poursuivent, à travers les subtilités de la scolastique, un idéal supérieur ; je vois un roi et sa chevalerie conduits par une bergère. Enfin je vois partout les saintes choses du travail et de l’amour, je vois la ruche pleine d’abeilles et de rayons de miel. Je vois la France et je dis : Mes pères, soyez bénis ; soyez bénis dans vos œuvres qui ont préparé les nôtres, soyez bénis dans vos souffrances qui n’ont point été stériles, soyez bénis jusque dans les erreurs de votre courage et de votre simplicité. S’il est vrai, comme je le crois, que vous valiez moins que nous ne valons, je ne vous en louerai que davantage. On juge l’arbre à ses fruits. Puissions-nous mériter la même louange ! Puisse-t-on dire un jour que nos enfants sont meilleurs que nous !

Il peut arriver que M. Leconte de Lisle montre, dans son discours, quelque dédain de la poésie de ces vieux âges. Or, dans ce cas, que j’ose prévoir, je lui