Page:La Vie littéraire, I.djvu/125

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il s’agit de son art. Il ne sait s’il existe lui-même, mais il sait à n’en point douter, que ses vers existent absolument.

Il professe que les qualités des choses sont des apparences comme les choses elles-mêmes sont des illusions, mais il ne doute pas que telle rime ne soit bonne d’une absolue bonté. Il a de la poésie une conception dogmatique, religieuse, autocratique. Il déclare qu’un beau vers restera beau quand le soleil sera éteint et qu’il n’y aura plus d’hommes en qui cette beauté puisse encore se connaître. Il juge les plus vieux poèmes d’après des règles qu’il tient pour immuables et divines. Enfin, ce philosophe incrédule devient, quand il s’agit de son art, le fidèle et zélé croyant, le grand abbé, le pape que je vous montrais tout à l’heure dans l’attitude d’un éloquent et fanatique défenseur de l’orthodoxie du vers.

Et si vous croyez que je l’en blâme, si vous croyez que je prends plaisir, en faisant cette remarque, à relever les contradictions d’un esprit supérieur, vous me rendez peu de justice et devinez mal ma pensée. Je tiens au contraire cette inconséquence pour la chose la plus heureuse et la meilleure. Elle suffirait à prouver que l’auteur des Poèmes barbares est plus poète que philosophe, qu’il est poète d’instinct, de nature, poète avec plénitude, et que tout son être est poète. Il oublie tout, même ses raisons et sa raison, quand il s’agit de son art. Cela est heureux et excellent, J’ajouterai que cela est naturel. Quels que