Page:La Vie littéraire, I.djvu/165

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l’inanité de ce qu’ils veulent et ils perdront leurs partisans. En attendant ils ont encore le voile du prophète — de ce prophète dont le visage était si affreux, qu’il ne le montrait à personne. Comme lui, ils se gardent de soulever le voile. » Cette image du prophète voilé, dont il a fait usage plusieurs fois, est frappante. Elle ne lui appartient pas, il est vrai. Elle est tirée d’un poème de Thomas Moore (the veiled prophet). C’est un emprunt. Mais de telles citations, amenées aussi naturellement, relèvent la pensée et donnent au discours une force inattendue.

Ce qu’est M. de Bismarck, on le voit. Ce qu’il a dit, on l’a entendu. Ce qu’il a fait, on le sait trop. Mais que pense-t-il ? que croit-il ? Quelle idée se fait-il de lui-même, de la vie et de la destinée de l’homme ? Personne peut-être ne le sait. Et ce serait pourtant une chose curieuse à connaître que la philosophie du prince de Bismarck.

On a dit que cet esprit si fort confessait la foi religieuse de la multitude, et que même il y mêlait des superstitions antiques et grossières : que, par exemple, il tenait pour funestes certains jours et certaines dates. Il s’en est défendu. « Je prendrai place, a-t-il dit, à une table de treize convives aussi souvent qu’il vous plaira, et je m’occupe des affaires les plus importantes le vendredi ou le 13 du mois, si c’est nécessaire. » Soit ! À cet égard, il a l’esprit libre. Par contre, il avoue avoir été frappé d’une terreur superstitieuse quand le roi lui conféra le titre de comte.