Page:La Vie littéraire, I.djvu/173

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grands coupables ; ils détournent vers des êtres imaginaires notre tendresse et notre pitié, qui seraient mieux placées sur la tête des vivants dont nous sommes entourés. Tel romancier produit des hystériques, tel autre des coquettes, un troisième des joueurs ou des assassins. Mais le plus diabolique de tous, le Lucifer de la littérature, c’est Balzac. Il a imaginé tout un monde infernal, que nous réalisons aujourd’hui. C’est sur ses plans que nous sommes jaloux, cupides, violents, injurieux et que nous nous ruons les uns sur les autres, avec une furie homicide et ridicule, à la conquête de l’or, à l’assaut des honneurs. Balzac est le prince du mal et son règne est venu. Pour tous les sculpteurs, pour tous les peintres, pour tous les poètes, pour tous les romanciers qui, depuis les premiers temps du monde jusqu’à cette heure, firent du mal à l’humanité, que Balzac soit maudit !

Il s’arrêta pour souffler.

— Hélas ! monsieur, lui dis-je, ce que vous dites n’est pas sans quelque raison (il était convenable de le flatter) ; mais les hommes n’ont point attendu les artistes pour être violents et débauchés. Attila et Gengis-Khan, qui n’avaient point lu Homère, furent des guerriers plus destructeurs qu’Alexandre. Les Fuégiens et les Boschimans sont dépravés, et ils ne savent ni lire ni dessiner. Les paysans assassinent leurs vieux parents sans aucun souvenir romanesque. La concurrence vitale était meurtrière avant Balzac. Il y eut des grèves devant que Germinal fût écrit.