Page:La Vie littéraire, I.djvu/183

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la nébuleuse originelle. Vaine poursuite, qui fatigua plus d’un lecteur ! On se résigne, de guerre lasse, à ne pas saisir cette fugitive plus rapide que la lumière, qu’on annonce partout et qu’on ne trouve nulle part, pas même dans les cieux, théâtre éternel de carnage et de mort, où l’astronomie nous montre l’action impitoyable de ces mêmes lois de la vie par lesquelles le mal se perpétue sur la terre. La justice éternelle, je ne l’ai vue, pour ma part, que sur la toile fameuse de Prud’hon. Elle a les traits d’une femme. Sa robe, noblement drapée, révèle une poitrine et des flancs puissants ; elle pourrait être amante et mère, c’est-à-dire deux fois humaine, deux fois injuste. C’est l’image de l’injustice sublime, jetée sur la toile par le pinceau-poète du plus suave des artistes… Mais, si nous nous résignons volontiers à ignorer à jamais la justice, nous voulons connaître le bonheur. Il nous fuit comme elle ; cependant, à certaines heures, nous entrevoyons son ombre, et elle nous semble si belle, que nous ne pouvons nous défendre de la poursuivre les bras ouverts. C’est quelque chose, quoi qu’on dise, que d’embrasser une ombre charmante. Aussi le nouveau poème de M. Sully-Prudhomme serait-t-il bien venu. Eût-il, comme je le crois pour conclusion le néant du bonheur, nous enseignât-il que l’art d’être heureux est l’art de souffrir et qu’il n’est de volupté vraie que dans le sacrifice, nous en goûterions avec délices la beauté sérieuse et profonde.

Le Bonheur nous viendra cet hiver ; en atten-