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MARIE BASHKIRTSEFF.

Marie Bashkirtseff ne s’y laissa pas prendre. « Je serais au comble de la joie si je le croyais, dit-elle ; mais je doute, malgré son air vrai, gentil, naïf même. Voilà ce que c’est que d’être soi-même une canaille. »

Et elle ajoute :

« D’ailleurs, cela vaut mieux. »

Elle n’avait pas la moindre envie d’épouser le pauvre Pietro.

« Si j’étais sa femme, pensait-elle, les richesses, les villas, les musées des Ruspoli, des Doria, des Torlonia, des Borghèse, des Chiara m’écraseraient. Je suis ambitieuse et vaniteuse par-dessus tout. Et dire qu’on aime une pareille créature, parce qu’on ne la connaît pas ! Si on la connaissait, cette créature… Ah ! baste ! on l’aimerait tout de même. » Se montrer, paraître, briller, voilà son rêve perpétuel. L’orgueil la dévore. Elle répète sans cesse : « Si j’étais reine ! » Elle s’écrie, en se promenant dans Rome : « Je veux être César, Auguste, Marc-Aurèle, Néron, Caracalla, le diable, le pape ! » Elle ne trouve de beauté qu’aux princes, au duc de H…, au grand-duc Wladimir, à don Carlos. Le reste ne vaut pas un regard.

Les idées les plus incohérentes se mêlent dans sa tête. C’est un étrange chaos. Elle est très pieuse ; elle prie Dieu matin et soir ; elle lui demande un duc pour mari, une belle voix et la santé de sa mère. Elle s’écrie, comme le Claudius de Shakespeare : « Il n’y a rien de plus affreux que de ne pouvoir prier. » Elle a une dévotion spéciale à la sainte Vierge : elle pratique